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— Ce n’est peut-être pas prudent.

— Si je ne reçois pas aujourd’hui, il reviendra. Épargnons-lui cette peine.

Les deux hommes, jeunes tous deux, l’un âgé de trente ans, l’autre de vingt-six, s’étudièrent dans un regard.

Roger montra une chaise au capitaine. Il resta sur son tabouret devant son œuvre et il attendit.

— Je serai aussi bref que possible, déclara Jean un peu nerveux. Les incidents qui ont eu lieu mettent un peu de gêne entre nous.

Roger se tut.

Si son silence n’était pas encourageant, son abord restait extrêmement courtois.

Le capitaine continua :

— Je ne reviendrai pas sur ce que vous savez. Je suis ici simplement pour éclairer un mystère.

…Homme d’honneur, je suis prêt à réparer une méprise, si méprise il y a.

…Mais je tiens à ce que les explications soient nettes, franches.

…Je suis ici d’après la volonté de madame d’Anicet.

L’appréhension de Roger tomba.

— D’après ce que je crois comprendre, c’est la fin prématurée de Mme d’Hallon, ma belle-mère, qui précipite une explication.

Roger ne sourcilla pas.

Il connaissait la mort.

— Voici, monsieur, quelques lignes écrites il y a deux mois. Mme d’Anicet me les a soumises ce matin. Je suis autorisé, je dois même vous les communiquer.

…Veuillez en prendre connaissance.

— Est-ce que cette lettre m’est adressée ? interrogea le peintre.

— Non. À moi.

— Dans ce cas, monsieur, veuillez en faire lecture vous-même.

Jean allait lire.

Il s’arrêta.

— Mon Dieu, je ne suis pas plus timide, plus scrupuleux qu’un autre, mais la chose est infiniment délicate, et si cela ne vous contrarie pas, j’aimerais autant…

Roger comprit.

Il prit le papier que lui offrait Jean.

Les yeux du capitaine restèrent pendant quelques minutes fixées sur le peintre.

Pas une émotion extérieure ne trahit Roger. Il lut plusieurs fois la phrase qui le concernait et tendit la lettre au capitaine.

— Vous dites, monsieur, que Mme d’Anicet vous l’a remise ce matin ?

— Me l’a fait remettre — ce qui revient au même — après une conversation dans laquelle Mme d’Anicet m’a déclaré qu’elle n’avait pas un mot à changer à ce qu’elle a écrit il y a deux mois.

— Je vous crois sur parole, monsieur le capitaine. Je sais que vous êtes un homme d’honneur. Il est regrettable que certains actes aient été commis : mais puisque Mme d’Anicet me laisse libre de parler, je n’ai aucun motif de me taire.

…Celle qui porte votre nom, monsieur le capitaine, est une sainte.

…C’est elle qui m’a empêché de me livrer à des actes désespérés…

…C’est elle qui a évité que je portasse le scandale et le déshonneur dans une famille, la sienne… la vôtre.

Jean sursauta :

— Inutile de prendre des ménagements, n’est-ce pas ? Entre hommes, on se comprend.

— Elle l’a chèrement payé, puisque, de ce jour, le martyre pour elle a commencé.

…Que vous dirai-je encore ? C’est elle qui a fait renaître en mon cœur la confiance en la vie, l’amour dans le travail.

…Sans elle, j’étais perdu, parce que j’étais résolu à toute vengeance et à toutes excentricités.

…Rien ne m’eût arrêté sur la pente malheureuse, où, déjà, j’avais mis le pied.

…Une main de femme m’a retenu.

Il soupira et poursuivit :

— D’après ce que j’ai lu, vous ne savez rien de moi.