Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/81

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c’est moi qui suis cause que tu « toques » et tu comprends !…

…Tu verras un chef-d’œuvre, ma chère. Il n’y a pas à dire, très chouette, Compassion.

— C’est un artiste, n’est-ce pas ?

— Absolument.

— Il est à l’abri des soucis.

— Je crois pouvoir dire que les jours sombres sont finis pour lui.

— Oh ! mon Dieu ! quel bonheur !

— Seras-tu libre cet après-midi.

— Je le suis tous les jours.

— Eh bien, affaire conclus pour tantôt. J’aime les choses qui marchent rondement. Sois prête à deux heures.

— Je le serai, mon bon Maurice.

À l’heure fixée, le frère et la sœur partirent.

L’émotion paralysait la pensée de Berthe.

Si elle le rencontrait là-bas ?…

Quel est l’artiste qui n’aime pas à se rendre compte de l’appréciation du public ?

Perdu dans la foule, n’est-ce pas, pour lui, une satisfaction très légitime d’entendre louer son œuvre ?

Outre l’artiste, est-ce que les amis, les protecteurs ne se rendent pas dans les galeries.

Ne pouvait-elle rencontrer Mme d’Anicet ?

Lorsqu’ils arrivèrent, salle comble.

Dans le brouhaha, au milieu de cette foule où l’on ne parvient à circuler qu’à force de coudoiements, Berthe cherche un visage connu.

Elle n’a pas souci du tableau : Maurice la dirige. Elle sait qu’il y va directement.

Elle va… Elle va…

Non, elle ne connaît personne.

Il semble tout à coup qu’une éclaircie se produit. Dans cette atmosphère étouffante, on respire plus librement.

— Juste en face, numéro 536.

Berthe a les yeux sur le chef-d’œuvre.

Maurice lui en explique les détails. Il fait ressortir les beautés avec des expressions techniques.

Berthe est heureuse. Son cœur bat très fort.

— C’est beau, dit-elle, c’est la toile d’un grand cœur.

Elle regarde à droite, à gauche, de tous côtés. Roger n’est pas là. Mme d’Anicet non plus.

La foule circule. Des hommes, des femmes, des indifférents, dès connaisseurs, des enfants aussi. C’est un but de sortie. On va au Salon comme on va aux Courses.

Une statue d’homme grand, mince, attire l’attention de Maurice et de Berthe.

Il est vêtu d’un complet à carreaux. Il a à la main un guide et une lunette.

C’est la troisième fois qu’il se pose devant l’œuvre de Roger.

Évidemment cette idole le captive.

Il s’approche… s’éloigne… regarde : face… de côté et exclame :

Beautiful !…

Il revient devant les jeunes gens, leur tournant le dos, examine encore avec attention.

Des gardiens circulent.

Un d’eux passe à côté de l’étranger.

Solennellement, celui-ci lève la main.

— Pas encore vendue, s’il vous plaît.

— Quelle œuvre, monsieur ?

— 536… là… devant.

— Non, monsieur. Le Salon n’est ouvert que depuis deux jours. Cette toile-là sera très disputée. C’est un des clous de l’Exposition.

— Quoi ! L’œuvre il sera disputée.

— Ça été l’avis du jury.

— Disputée à moi William Vanderbook ?

— Par tous ceux qui la désireront.

— Ah ! nous verrons ! Roger, n’est-ce pas ?

— Oui, monsieur, elle est du peintre Roger.

— Moi, ai pris paquebot exprès pour l’Exposition pictures. Arrivé hier au Ha-