Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/82

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vre. Personne avant moi achètera… Aoh ! nô !…

Sans faire un mouvement, Maurice et Berthe ont entendu le dialogue.

Ils se regardent.

Berthe est rayonnante.

— La fortune de Roger est faite, affirme son frère.

Elle ne répond pas.

Un bonheur intense l’étreint, fait mourir les mots dans sa gorge.

— Partons-nous ? demanda le jeune homme.

Un vertige saisit Berthe.

Elle se touche le front.

À peine sont-ils dehors qu’elle frissonne.

Le brusque changement de température la saisit. Tout tourne autour d’elle.

— Qu’as-tu ?

— Je ne sais pas. Il faisait très chaud. J’ai la tête lourde.

— Pourvu que tu n’aies pas pris mal là-dedans.

— Oh !…

Hélas ! Maurice disait vrai.

Le soir Berthe refusa toute nourriture. Elle se mit au lit avec la fièvre. Des frissons l’ébranlaient.

La fatigue qu’elle éprouvait depuis quelque temps devait amener une crise.

L’émotion de la journée la provoqua.

Dans la nuit, Berthe délira.

Maurice était au désespoir.

N’était-ce pas la course au Salon qui avait déterminé la maladie ?

Son délire intermittent effrayait d’autant plus la mère que le docteur ne se prononçait pas catégoriquement.

— Il y a ébranlement dans le système nerveux, déclara-t-il ; cette enfant n’a-t-elle pas subi de contrariété ?

— Croyez-vous, docteur, que cela soit ?

— Certainement. Votre enfant, madame, est une sensitive. Les nerfs jouent chez elle un grand rôle. Un rien peut la remettre, mais un rien peut la tuer.

— Elle n’est pourtant pas d’aujourd’hui cette contrariété.

— Raison de plus. Votre jeune fille a concentré son chagrin. Un choc a suffi. Ménagez-la.

Le diagnostic ne surprit pas la mère.

Il se révélait de lui-même, quand aux heures de fièvre tombaient des lèvres de Berthe les deux mots :

— Roger !… Maman !…

La somnolence qui suivait ces douloureux instants était si profonde, la respiration de la malade devenait si faible que la mère n’avait qu’un cri :

— Tout, tout, mon Dieu ! mais la guérison de mon enfant !

Maurice était atterré.

Le souvenir de cette visite le bourrelait. Toute sa vie il s’en repentirait.

De deux jours et de deux nuit, Mme Méen ne quitta pas le chevet de Berthe.

Un matin pourtant, c’était le troisième jour de la maladie, Mme Méen ne put y résister. Elle laissa Maurice auprès de sa sœur et s’accorda un peu de repos.

Berthe éprouvait une accalmie

— Te sens-tu mieux ? interrogea le jeune homme.

— Je suis très faible.

— Où souffres-tu ?

— Partout et nulle part.

— Combien je regrette de t’avoir conduite au Salon ! Quelle mauvaise idée nous ayons eue là !

— Tu as tort, Maurice, il y a longtemps que je ne me sens pas bien… oh ! oui, longtemps… depuis… tu sais bien.

— Je sais.

— Je ne voulais pas me plaindre, mais je comprends que j’étais menacée.

— J’aurais préféré que cela se fût déclaré à un autre moment.

— Ne te reproche rien, Maurice. J’ai été si heureuse !… Je te dois ces quelques minutes de joie. Ne l’as-tu pas vu depuis ?

— Roger ?

— Oui.

— Non. Il doit être occupé ces temps-ci.