Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/9

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bien-être ?… Ah ! non ?… Demain, dès qu’il fera jour, tu reviendras, entends-tu, Maurice ? Je n’ai qu’un ami, c’est toi. Si je ne puis me traîner, tu me porteras dans un sapin et tu me conduiras chez une grande dame que je te nommerai. Tu sonneras à sa porte et tu diras au valet de chambre qui ouvrira, la phrase que je te soufflerai.

… Je meurs de soif. Donne-moi à boire.

— Tu vas me faire le plaisir de te coucher. Après, je ferai tout ce que tu voudras.

— Donne-moi à boire… Je brûle.

— Y a-t-il quelque chose ici ?

— Dans le placard, tu trouveras du thé ; dans la cruche, de l’eau.

— Couche-toi, je te dis… Ça va être prêt dans cinq minutes.

Assez lentement le jeune homme obéit.

Chaque secousse brusque lui arrachait un cri.

— Doucement, voyons, ne te martyrise pas.

— Tu en parles à ton aise, toi !… Doucement ! doucement ! peut-on aller doucement quand on a le cœur plein de fiel, quand on voudrait avoir devant soi une créature à qui l’on voudrait crier son mépris, sa haine.

Il s’enfila dans les draps.

Sa tête tomba sur l’oreiller et continua :

— Je suis un être bizarre !… Il y a en moi des délicatesses poussées à l’excès. À côté de cela, je possède un fond de canaillerie, de violence que je ne définis pas. Je suis capable de tout !…

— Pour le moment, reprit l’ami Maurice, tu as une tête qui me paraît avoir besoin de repos. Fais-moi le plaisir de te taire. Y a-t-il une tasse dans ton mobilier ?

— Parbleu ! Il y en a trois… toujours dans le placard… Oh ! que j’ai soif… Je suis dans le feu, Maurice, je hais la société, je hais ceux qui m’ont donné le jour.

— Tu es fou.

— Il n’y a que toi. Je n’ai rencontré que toi de bon sur la terre.

— C’est quelque chose ! Heureux de te plaire !

L’eau bouillait.

L’ami jeta dans l’ébullition une pincée de thé, laissa infuser et présenta le liquide au blessé.

— Mets de l’eau froide. C’est brûlant.

D’un trait, il but.

— Prépares-en d’autre. Si j’ai soif, la nuit, je boirai… C’est égal, j’ai été rudement touché !… Mâtin !… Pour un coup, c’en est un qui n’a pas raté !

— Pas de blague. Qui va te soigner ?

Un ricanement amer sortit encore de la gorge du malheureux.

— Ah ! voilà !… Eh bien, oui, qui va me soigner ! On ne sait pas, puisque je n’ai personne ! Dis-donc, comprends-tu ce que cela veut dire : « Personne ! » quand on aurait pu tout avoir ?

L’ami le contempla.

— Ne déraisonnait-il pas ?

Ce choc subit, l’apeurement, la folie qui l’avait fait sauter hors la voie, tout cela n’avait-il pas provoqué une lésion au cerveau ?

Ses yeux étincelaient.

Deux pommettes rouges faisaient ressortir la blancheur de son teint de phtisique.

Il continua, gesticulant de la main gauche.

— Je pourrais tout avoir… une mère… une sœur… oui, je pourrais avoir une mère et aussi une sœur…

…Eh bien… je n’ai rien parce que je ne suis rien… Tu comprends, n’est-ce pas ? C’est très clair… surtout pour moi… Oh ! oui, surtout pour moi. J’avoue que c’est rude à force d’être long.

… Est-ce que tu m’écoutes ?

— Certainement.

— Ne crois pas que je sois fou… Non, je ne suis pas fou… Écoute. Tu vas t’en aller. J’ai besoin de dormir. Demain matin, j’aurai ma brave concierge.

…En passant, tu lui diras devenir demain à huit heures… Dis-donc ?