Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/8

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Même avec de l’énergie, comment la jeune femme aurait-elle pu chasser complètement cette vision impressionnante ?

Elle se vêtit, s’occupa de ses enfants.

Dix heures sonnèrent.

Nerveuse, émotionnée, elle prit le parti de sortir, sans but, pour changer de place, pour donner un nouveau cours à ses idées.

L’air la calmerait.

Tout à coup son œil se fixa sous une pensée brusque.

N’était-ce pas mercredi ? jour convenu pour retirer là-bas, de l’autre côté de l’eau, le mystérieux récit ?

Elle allait s’y rendre à pied.

Cela distrairait.

Vingt-cinq minutes de marche : une bagatelle.

Elle regarda la pendule de la chambre.

Elle avait grandement le temps nécessaire avant le déjeuner d’une heure.

Pendant que la nuit, Malcie souffrait de ses rêves, une scène d’une extrême tristesse se passait dans un atelier de la rue Notre-Dame-des-Champs.

Comme nous l’avons dit, le blessé d’Ouest-Ceinture avait reçu les premiers soins dans la gare même puis, deux heures plus tard, il avait été reconduit chez lui.

Le fiacre s’arrêta devant une petite porte donnant accès à un couloir étroit, long, ruelle entre deux immeubles qui conduisait à une cour au fond de laquelle s’élevait un local très éclairé que recherchaient les peintres.

Trois paysagistes l’habitaient.

Du fiacre sortit un homme aux cheveux grisonnants. C’était le docteur compatissant qui avait tenu à accompagner son malade jusque chez lui.

Il lui tendit la main.

— Merci, je descendrai seul. Je suis chez moi. Merci, docteur. Je ne veux pas vous retenir plus longtemps.

Le blessé était sur le trottoir.

Un bandeau entourait son front. Une écharpe soutenait son bras droit.

— Vous ne voulez pas que je monte chez vous ?

— Pas d’imprudences, n’est-ce pas, mon ami ? Rien qui puisse susciter la fièvre. Si vous souffrez, voici l’adresse d’un confrère qui habite à deux pas. Envoyez-le chercher de ma part.

— Merci.

Le médecin repartit, tandis que le jeune homme faisait un pas dans le couloir.

Il portait la main à son front pour atténuer des lancinements de douleur aiguë quand une exclamation le fit retourner.

— Est-ce que je ne me trompe pas ?… Toi, Roger !… Que t’est-il arrivé, misère de Dieu ?…

— Un nouveau coup du destin !… La fatalité toujours !… C’en est fait, je suis condamné à crever comme un chien.

— Mais d’où viens-tu ?

— Le train a déraillé… J’ai la tête cassée. Quant au bras, je ne sais ce qu’il a.

— Mais, mon pauvre ami, tu ne peux rester seul ainsi chez toi ?

Le blessé ricana :

— Ah ! oui, l’hôpital !… Jamais !…

Tous deux avaient traversé la cour, et, à la lueur d’une allumette bougie, ils arrivèrent au premier étage dans une chambre spacieuse que meublaient un lit, deux chaises et dans un désordre inouï, des palettes, des chevalets, des boîtes de couleurs, tout un attirail de peintre.

Sur la tablette de la cheminée, des rouleaux de croquis, de livres, une lampe à réchaud.

L’ami balbutia :

— Comment c’est-il arrivé ?

En quelques mots, le blessé narra l’accident.

Il conclut, regardant l’autre bien en face :

— Et il va falloir que je parte comme un chien avec un enterrement de dixième !…

— Es-tu fou ?

Il continua :

— Tandis que d’autres sont gorgés de