Aller au contenu

Page:De Bachaumont - Mémoires secrets Tome 2 - 1766-1769 - Ravenel - Ed. Brissot-Thivars - 1830.djvu/9

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
5
JANVIER 1766

15. — Le Cœur,
Par M. le chevalier de Boufflers.

Le cœur est tout, disent les femmes.
Sans le cœur point d’amour, sans lui point de bonheur :
Le cœur seul est vaincu, le cœur seul est vainqueur.
Mais qu’est-ce qu’entendent ces dames,
En nous parlant toujours du cœur ?
En y pensant beaucoup, je me suis mis en tête
Que du sens littéral elles font peu de cas,
Et qu’on est convenu de prendre un mot honnête
Au lieu d’un mot qui ne l’est pas.
Sur le lien des cœurs en vain Platon raisonne,
Platon se perd tout seul et n’égare personne.
Raisonner sur l’amour, c’est perdre la raison ;
Et dans cet art charmant la meilleure leçon
C’est la nature qui la donne.
À bon droit nous la bénissons
Pour nous avoir formé des cœurs de deux façons ;
Car que deviendraient les familles,
Si les cœurs des jeunes garçons
Étaient faits comme ceux des filles ?
Avec variété nature les moula,
Afin que tout le monde en trouvât à sa guise.
Prince, manant, abbé, nonne, reine, marquise,
Celui qui dit Sanctus, celui qui crie si Allah !
Le bonze, le rabbin, le carme, la sœur grise,
Tous reçurent un cœur : aucun ne s’en tint là.
C’est peu d’avoir chacun le nôtre,
Nous en cherchons partout un autre.
Nature, en fait de cœurs, se ploie à tous les goûts.
J’en ai vu de toutes les formes,
Grands, petits, minces, gros, médiocres, énormes.
Mesdames et Messieurs, comment les voulez-vous ?
On fait partout d’un cœur tout ce qu’on en veut faire ;
On le prend, on le donne, on l’achète, on le vend ;