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Page:De Bachaumont - Mémoires secrets Tome 3 - 1769-1772 - Ravenel - Ed. Brissot-Thivars - 1830.djvu/101

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DÉCEMBRE 1769.

Il termine son écrit par des réflexions générales, qui naissent naturellement de son sujet. Il se plaint que la France, étant le pays du monde où les lettres sont le plus florissantes, soit en même temps le pays où ceux qui les cultivent sont traités le plus défavorablement. Il les peint, avec non moins de vérité que d’énergie, gémissant sous le joug des libraires, travaillant en vils esclaves au champ fécond de la littérature, tandis que ces maîtres durs recueillent tout le fruit de leurs sueurs, et vivent à leurs dépens dans l’abondance et dans le luxe. Il compare les procédés des libraires de France et de ceux de Londres envers les auteurs, et il en fait voir l’énorme différence à la honte des premiers. Il cite l’exemple d’une Histoire de Charles V, en cinq volumes, dont le manuscrit a été vendu par M. Robertson quatre mille guinées ; tandis que l’Encyclopédie, ce vaste dépôt de toutes les connaissances humaines, ce monument qui, seul, forme bibliothèque entière, qui a rapporté plus de deux millions de gain aux libraires, n’a valu à M. Diderot, entrepreneur, directeur, et surtout seul architecte de cet immortel édifice, que cent pistoles de rentes viagères. Il finit par une péroraison vigoureuse, où il exhorte les de lettres à secouer un joug aussi honteux que tyrannique, pour s’aider mutuellement dans l’impression et le débit de leurs ouvrages, et pour donner des secours aux jeunes gens qui entrent avec du talent dans la même carrière. Il sonne le tocsin même à l’égard des seuls amateurs, fait craindre le dépérissement du goût et des lettres, si l’on ne met un prompt remède à la rapacité dévorante des libraires, sangsues des auteurs et qui se gorgent impitoyablement de leur sang.