« Vous êtes pères, vous tous, pères heureux ; vos enfans ne vous sont pas enlevés, vous leur êtes conservés. Le mien, père de treize, nous fut enlevé dans sa trente-huitième année. Je n’en avais alors que douze : quelle perte pour moi ! Ma mère me resta encore : veuve à trente-deux-ans, elle se retira dans une maison de campagne, déterminée à y passer le reste de ses jours avec ses cinq filles. Le soin de l’éducation de nous autres fut confié à nos plus proches parens. Ma faute, ou, si vous voulez, mon crime, n’est pas l’effet d’un tempérament vicieux, suite, souvent, d’une éducation négligée, d’un malheur[1] qui m’avait obligé de venir en France. Milord Harcourt promit à ma sollicitation de me remplacer dans mon ancien régiment : il se prévalut de cette conjoncture, en me proposant ce fatal voyage. Mon peu d’expérience me laissa séduire, ma reconnaissance me fit entreprendre. Figurez-vous en milord Harcourt un homme de soixante ans, décoré de toutes les beautés de la vieillesse : en lui je voyais un homme de naissance, lieutenant-général de nos armées, ambassadeur en France et mon protecteur. Que de prévoyance n’aurait-il pas fallu pour apercevoir la chaîne de malheurs qui devaient s’ensuivre ? Et sous quelles couleurs ne me présenta-t-il pas sa proposition ? Il me fut impossible d’éviter son piège.
« Je n’ai, hélas ! que peu à espérer du côté des lois, elles ne regardent que les fautes. J’ai toujours espoir en vous, vu que l’État ne peut souffrir aucun préjudice de
- ↑ Pour avoir tué un homme dans une rixe.