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Page:De Bachaumont - Mémoires secrets Tome 3 - 1769-1772 - Ravenel - Ed. Brissot-Thivars - 1830.djvu/29

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JUILLET 1769.

matière, et mettre à la portée de tout le monde une justification réservée jusque-là pour les gens du Palais.

14. — Extrait d’une Lettre de Ferney, du 1er juillet 1769.

« Vous me demandez des nouvelles du patron ? Je vous dirai que j’en ai été très-bien reçu, que c’est un homme charmant de tout point, mais intraitable sur l’article de la santé. Il devient furieux quand on lui dit qu’il se porte bien. Vous savez qu’il a la manie d’être malade depuis quarante ans ; elle ne fait qu’augmenter avec l’âge ; il se prétend investi de tous les fléaux de la vieillesse ; il se dit sourd, aveugle, podagre. Vous en allez juger. Le premier jour que j’arrivai, il me fit ses doléances ordinaires, me détailla ses infirmités. Je le laissai se plaindre, et pour vérifier par moi-même ce qui en était, dans une promenade que nous fîmes ensemble dans le jardin, tête à tête, je baissai d’abord insensiblement la voix, au point d’en venir à ce ton bas et humble dont on parle aux ministres, ou aux gens qu’on respecte le plus. Je me rassurai sur ses oreilles. Ensuite, sur les complimens que je lui faisais de la beauté de son jardin, de ses fleurs, etc., il se mit à jurer après son jardinier, qui n’avait aucun soin, et en jurant il arrachait de temps en temps de petites herbes parasites, très-fines, très-déliées, cachées sous les feuilles de ses tulipes et que j’avais toutes les peines du monde à distinguer de ma hauteur. J’en conclus que M. de Voltaire avait encore des yeux très-bons ; et par la facilité avec laquelle il se courbait et se relevait, j’estimai qu’il avait de même les mouvemens très-souples, les ressorts très-lians, et qu’il n’était ni sourd, ni aveugle, ni podagre. Il est inconcevable