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PRÉFACE.

c’est que je leur suis, moi, profondément étranger. Ils ne savent rien de moi, ils ne m’aiment pas, ils ne me plaignent pas quand je suis désolé, ils ne me consolent pas quand je pleure, ils ne souriraient guère de ce qui me fait rire aux éclats.

À chaque instant le chœur antique disait au spectateur : « Nous avons toi et moi la même patrie, les mêmes Dieux, la même destinée ; c’est ta pensée qui acère ma raillerie, c’est ton ironie qui a fait éclater mon rire en notes d’or. » À défaut de chœur, Racine et Shakspeare disent cela eux-mêmes. Ils le disent à chaque vers, à chaque ligne, à chaque mot, tant leur âme individuelle est pénétrée, envahie et submergée par l’âme humaine. Mais aujourd’hui, même dans les œuvres où par hasard le génie comique éclate en liberté, l’auteur a toujours l’air de faire tous ces mots-là pour lui et de s’amuser tout seul. Il manque toujours le chœur, ou du moins ce mot, ce cri, ce signe qui invite à la communion fraternelle. Si le poëte des Odes funambulesques pouvait avouer un instant cette fatuité, nous dirions qu’il a voulu tenter comme des essais de chœurs pour Vautrin, pour Les Saltimbanques, pour Jean Hiroux, la