Page:De Banville - Odes Funambulesques.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
32
ODES FVNAMBVLESQUES.


Après avoir posé son verre encore humide,
Un tout jeune homme, épris de songes fabuleux,
Beau comme Antinoüs, mais quelque peu timide,
Suppliait dans un coin sa voisine aux yeux bleus.

Ce fut un grand régal pour la troupe savante
Que cette bergerie, et les meilleurs plaisants
Se délectaient de voir un fou croire vivante
Véronique aux yeux bleus, ce joujou de quinze ans.

Mais l’heureux couple avait, parmi ce monde étrange,
L’impassibilité des Olympiens ; lui,
Savourant la démence et versant la louange,
Elle, avalant sa perle avec un noble ennui.

L’ardente causerie agitait ses crécelles
Sur leurs têtes ; pourtant, quoi qu’il en pût coûter,
Ils avaient les regards si chargés d’étincelles
Que chacun à la fin se tut pour écouter.

― « Vraiment ? jusqu’à mourir ! » s’écriait Véronique,
En laissant flamboyer dans la lumière d’or
Ses dents couleur de perle et sa lèvre ironique ;
« Et si je vous disais : « Je veux le Kohinnor ? »