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Gilberte suivait des yeux le maître qui s’éloignait.

Parfois la silhouette disparaissait dans les broussailles, puis réapparaissait très nette sur l’or des blés mûrs. Quand Jehan se fut effacé dans le lointain, Gilberte pria Dieu de protéger son époux dans ce saint pèlerinage, puis elle descendit dans la salle d’armes où ses femmes s’étaient réunies.

Et des mois se passèrent monotones pour les hôtes d’Aiglymort. Regnier occupait ses gens aux exercices et à la chasse. Gilberte, de sa fenêtre ouverte, voyait la longue théorie d’hommes d’armes dévalant par les broussailles et les rocs. Son cousin lui adressait de grands saluts auxquels elle répondait de sa main fine de châtelaine.

Puis elle reprenait la tapisserie commencée, s’interrompant parfois pour caresser le lévrier étendu à ses pieds. On entendait le son des olifants courir par la campagne en rapides appels ou en longs hallalis.

Puis les chasseurs revenaient et la cour s’emplissait de cliquetis d’armes et d’aboyements. Le soir, après le repas, les hôtes se réunissaient autour de l’âtre et Regnier racontait les péripéties de sa chasse. Le feu des bûches rougissait sa mâle face de guerrier et tandis qu’il parlait ainsi, les femmes admiraient l’étrange éclat de ses prunelles.

Parfois encore, toutes les oreilles étaient attentives au récit de grands faits d’armes et les hommes énervaient leurs désirs brutaux de guerre et de carnage. Alors, tous regrettaient l’absence de Jehan, les sevrant de tournois et de fêtes. Et le temps s’écoulait, pour les hommes en longues randonnées à travers le pays, pour les femmes en prières, en contemplations, en rêveries.

Gilberte passait souvent des heures fixant l’horizon de