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« Le meilleur vin n’a pas cet arôme », pensa-t-il tout haut.

Une porte grinça horriblement dans ce silence.

Telle est la vie, songea-t-il, faite d’harmonies éternellement renouvelées et aussitôt détruites. Partout, la laideur s’insinue… Ah ! vivre dans un rêve d’amour et de beauté !… Aimer, être aimé… Sourire ! Hélas ! elle ne me connaît pas… Elle m’ignore. Je suis le passant, l’inconnu, le pauvre hère déguenillé, sans force et sans beauté. Mes vers sont de folles chansons qu’elle ne chantera jamais. Elle n’a pas senti battre mon cœur dans leur rythme ! Jamais, jamais elle ne m’aimera !

Tout en devisant de la sorte, il parvint jusqu’à un endroit écarté. De tièdes bouffées montaient des jardinets où s’animaient des roses d’un souffle divin. L’atmosphère était saturée de cette haleine capiteuse et grisante. Amaury s’assit et laissa s’ouvrir son âme amoureuse au charme de cette nuit.

C’était ici qu’il revenait chaque soir bercer sa mélancolie et son rêve. Chaque forme d’ombre lui était familière. Les maisons lui souriaient de leurs yeux aux facettes de vitres. Il les aimait comme on aime des choses qui nous ont vu pleurer. Leur petitesse trapue et leurs cachettes obscures ne l’effrayaient pas. Là, dans ce calme propice, reposait l’indifférente beauté. Amaury s’imaginait l’adorable tête lourde de boucles brunes, reposant dans un sourire inachevé.

Et quand, brisé par le sommeil, il s’endormait enfin sur sa borne, leurs rêves se confondaient sans doute par-dessus les rosiers…