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— Si cela te plaît !

— J’ai faim et je meurs de soif…

— Je comprends ! Que d’autres te grisent ! Moi, je te quitte… Je me soucie peu de ta littérature et de tes vers !

— Je les tournerai bien… Vous les direz ce soir à votre épouse…

— Je suis célibataire et je ne sais pas lire.

— Je vous les apprendrai mot par mot.

— Je n’ai point de mémoire !… Salut et bonne chance !

L’homme s’en fut. Amaury resta pensif devant son verre vide. D’autres s’amusaient à grand bruit. Ils lampaient à longs coups la bière mousseuse et blonde et frappaient des poings sur les tables.

Ce vacarme finit par l’agacer. Il sortit.

Au dehors, le crépuscule tombait en lumière rose et violette. Les derniers rayons s’accrochaient aux pignons des toits difformes et se jouaient aux vitraux de la cathédrale, monstre immense et sombre accroupi sur la ville.

Des filles allaient par groupes et leurs rires frais traînaient par les rues. De jeunes jouvenceaux aux cheveux gras et aux mains rouges les appelaient en riant. Amaury passait indifférent aux boucles blondes et aux rires frais. Il allait, perdu dans son rêve, au fil des ruelles assombries, s’enchevêtrant en un labyrinthe dont il connaissait le secret.

Les bruits s’éloignèrent et se fondirent bientôt en une voix qui s’éteignit, et le ciel ouvrit sa première étoile, claire comme un diamant, la brise amena d’au delà des murs des effluves de senteurs enivrantes et douces. Ce parfum envahit la poitrine du jeune homme qui l’aspira longuement et avec force.