Page:De Broyer - Feuillets épars, contes, 1917.djvu/45

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Il possédait ce pouvoir, que nous admirions, de ne jamais être triste, de ne pas connaître nos mélancolies, d’ignorer nos joies trop vite épuisées. Ses actes, pour nous, ne s’accomplissaient que posément et après longue réflexion. Alors que nous étions des impulsifs, il tenait en lui une volonté ferme, inébranlable.

Lui, c’était l’être qui devait réussir… nous tâchions de l’imiter. Nous nous appliquions à ne plus manifester trop bruyamment nos sentiments, à ne plus nous lamenter pour le moindre désagrément ; nous conservions le sourire comme Daubin !

— De quoi s’agit-il ? fit l’ancien d’un ton détaché.

— Nous discutions sur la jeunesse et…

— Ah ! sur la jeunesse, interrompit-il, et vous disiez quoi ?

Le camarade, qui tout à l’heure pérorait, reprit son discours interrompu.

Daubin lui ferma la bouche.

— Inepties ! Inepties ! Si c’est pour ça que vous menez ce tapage ! Vous n’y connaissez rien… ou pas grand’chose ! ajouta Daubin, conciliant. Alors son sourire l’abandonna, c’était la première fois, et il dit d’un ton triste : Ah ! si vous aviez l’expérience que j’ai !…

Nous comprenions tous que nous avions fait vibrer un souvenir brûlant dans le cœur de Daubin.

— Écoutez, dit-il, je vais vous raconter une histoire bête sur ma jeunesse. Elle est très courte, ceux qui veulent un roman seront volés.

Au fond, moi, je suis fait comme les autres. J’ai un cœur comme vous, et quoique je sois presque de votre âge, en réalité je suis beaucoup plus vieux que vous. Ceci est mon introduction.