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Je suis heureux de vivre, le renouveau met en moi le désir d’atteindre un but, de marcher contre le vent.

Chaque fois que je me retourne, je vois les maisons du village devenues plus petites. Je sais que bientôt les dunes me les cacheront. Alors, j’en apercevrai d’autres et le clocher gris d’un village voisin.

Voici déjà les panaches de fumée qui se déroulent en spirales blanches ; voici leurs toits, humides encore de la dernière pluie. Au centre, l’église dresse son petit clocher d’ardoises.

Je vais au cimetière revoir encore une fois une croix de pierre verdie de mousse, et qui a sa légende.

À cette heure, je suis seul encore. Quel calme ! Quelle mélancolie se dégage de ces croix plantées presque sans ordre dans l’ombre des hauts murs de l’église ! De naïves couronnes laissent glisser leurs perles. Un bouquet d’immortelles noircies effeuille ses pétales depuis la dernière Toussaint.

L’herbe croît dans les sentiers, pousse entre les pierres disjointes des tombes…

Solitaire contre le mur, penchant vers la terre un bras fendu, voici la croix que je viens voir.

La pluie et le temps en ont effacé l’épitaphe ; seuls, ces mots ont subsisté : « Priez pour elle. » Qui… « elle » ? « Elle » n’a plus de nom, mais sa légende que tout le monde connaît ici.

On me l’a dite vingt fois et toujours différente, et toujours plus mélancolique.

Cette croix verte de mousse est un poème de pierre, le reste d’une épopée qui s’oublie.

Il y a longtemps, très longtemps, alors que cette église