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Page:De Charrière - Lettres écrites de Lausanne.djvu/13

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parfaitement ſage ſeroit prude ; je le crois du moins. Mais paſſons là-deſſus. Sincère & polie ! Vous n’êtes pas auſſi ſincère qu’il ſeroit poſſible de l’être, parce que vous êtes polie ; ni parfaitement polie, parce que vous êtes ſincère ; & vous n’êtes l’un & l’autre à la fois, que parce que vous êtes médiocrement l’un & l’autre. En voilà aſſez ; ce n’eſt pas vous que j’épilogue : j’avois beſoin de me dégonfler ſur ce chapitre. Les tuteurs de ma fille me tourmentent quelquefois ſur ſon éducation ; ils me diſent & m’écrivent, qu’une jeune fille doit acquérir les connoiſſances qui plaiſent dans le monde, ſans ſe ſoucier d’y plaire. Et où diantre prendra-t-elle de la patience & de l’application pour ſes leçons de claveſſin ſi le ſuccès lui en eſt indifférent ? On veut quelle ſoit à la fois franche & réſervée. Qu’eſt-ce que cela veut dire ? Qu’elle craigne le blâme ſans déſirer la louange ? On applaudit à toute ma tendreſſe pour elle ; mais on voudroit que je fuſſe moins continuellement occupée à lui éviter des peines & à lui procurer du plaiſir. Voilà comme, avec des mots qui ſe laiſſent mettre à côté les uns des autres, on fabrique des caractères, des légiſlations, des éducations & des bonheurs domeſtiques impoſ-