Page:De Coster - Contes brabançons, 1861.djvu/243

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jusqu’en Asie. » Le prince la suivait : il eût fallu les voir galoper en riant du matin jusqu’au soir ; la blonde avait par jour des milliers de caprices, vous le faisait courir au bord des précipices et si près qu’il manqua de se casser le cou, ou les reins, ou les bras tout au moins, comme un fou.

Il advint qu’une nuit le roi tomba malade et mourut quand son fils faisait cette escapade ; il le bénit de loin, et, sur son lit de mort, il lui souhaita d’être heureux, puissant et fort. Quand le prince revint, grande fut sa surprise de voir des pleurs couler sur la moustache grise d’un vieux soldat veillant aux portes du palais, et refusant l’argent que donnaient des valets. Ce visage, tout brun de soleil et de hâle, lui semblait contracté ; puis, un sommelier pâle, de rouge qu’il était jadis, courut à lui : « Prince, dit-il tout bas, il est mort aujourd’hui quelqu’un dans le palais. » — « Qui donc ? dit le jeune homme inquiet et tremblant : dis-moi comme il se nomme. » Le sommelier se tut, mais un homme de loi vint dire en nasillant : — « Salut au nouveau roi ! »

Le prince alors comprit qu’il n’avait plus de père. Il pleura bien longtemps, la face contre terre, puis entra, ressentant un douloureux remords, et trois jours et trois nuits, il pria près du mort : — « Oh ! disait-il souvent à ce pauvre cadavre, vois, noble père, vois la douleur qui