Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/125

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y alla & se plaça auſſi près & en vue du pape qu’il le put, & chaque fois que le pape élevait le calice ou l’hoſtie, Ulenſpiegel tournait le dos à l’autel.

Il y avait près du pape un cardinal deſſervant, brun de face, malicieux & replet, qui, portant un singe sur son épaule, donnait le sacrement au peuple avec force geſtes paillards. Il fit remarquer le fait d’Ulenſpiegel au pape, qui, dès la meſſe finie, envoya quatre fameux soudards, tels qu’on les connaît en ces pays guerriers, s’emparer du pèlerin.

— Quelle eſt ta foi ? lui demanda le pape.

— Très-Saint-Père, répondit Ulenſpiegel, j’ai la même foi que celle de mon hôteſſe.

Le pape fit venir la commère.

— Que crois-tu ? lui dit-il.

— Ce que croit Votre Sainteté, répondit-elle.

— Et moi pareillement, dit Ulenſpiegel.

Le pape lui demanda pourquoi il avait tourné le dos au saint-sacrement.

— Je me sentais indigne de le regarder en face, répondit Ulenſpiegel.

— Tu es pèlerin, lui dit le pape.

— Oui, dit-il, & je viens de Flandre demander la rémiſſion de mes péchés.

Le pape le bénit, & Ulenſpiegel s’en fut avec l’hôteſſe, qui lui compta cent florins. Ainſi leſté, il quitta Rome pour s’en retourner au pays de Flandre.

Mais il dut payer sept ducats son pardon écrit sur parchemin.


LIV


En ce temps-là, deux frères prémontrés vinrent à Damme vendre des indulgences. Ils étaient vêtus, par-deſſus leur accoutrement monacal, d’une belle chemiſe garnie de dentelles.

Se tenant à la porte de l’égliſe quand le temps était clair, & sous le porche quand le temps était pluvieux, ils affichèrent leur tarif, dans lequel ils donnaient pour six liards, pour un patard, une demi-livre pariſis, pour