Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/139

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gnant & reconnaiſſant, mais ne voyant en effet que le mur nu, ce qui les faiſait penauds.

Soudain le fou qui était préſent sauta de trois pieds en l’air & agitant ses grelots :

— Qu’on me traite, dit-il, de vilain, vilain vilenant vilenie, mais je dirai & crierai avec trompettes & fanfares que je vois là un mur nu, un mur blanc, un mur nu. Ainſi m’aide Dieu & tous ses saints !

Ulenſpiegel répondit :

Quand les fous se mêlent de parler, il eſt temps que les sages s’en aillent.

Il allait sortir du palais quand le landgrave l’arrêtant :

— Fou folliant, dit-il, qui t’en vas par le monde louant choſes belles & bonnes & te gauſſant de sottiſe à pleine gueule, toi qui oſas, en face de tant de hautes dames & de plus hauts & gros seigneurs, te gauſſer populairement de l’orgueil blaſonnique & seigneurial, tu seras pendu un jour pour ton libre parler.

— Si la corde eſt d’or, répondit Ulenſpiegel, elle caſſera de peur en me voyant venir.

— Tiens, dit le landgrave en lui donnant quinze florins, en voici le premier bout.

— Grand merci, monſeigneur, répondit Ulenſpiegel, chaque auberge du chemin en aura un fil, fil tout d’or qui fait des Créſus de tous ces aubergiſtes larrons.

Et il s’en fut sur son âne, portant haut sa toque, la plume au vent, joyeuſement.


LVIII


Les feuilles jauniſſaient sur les arbres & le vent d’automne commençait de souffler. Katheline était parfois raiſonnable pendant une heure ou trois. Et Claes diſait alors que l’eſprit de Dieu en sa douce miſéricorde venait la viſiter. En ces moments, elle avait pouvoir de jeter, par geſte & par langage, un charme sur Nele, qui voyait à plus de cent lieues les choſes qui se paſſaient sur les places, dans les rues ou dans les maiſons.