Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/14

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hibou & miroir, sageſſe & comédie, Uyl en Spiegel. Ceux de Damme, où il eſt né, dit-on, prononcent Ulenſpiegel par contraction & par l’habitude qu’ils ont de prononcer U pour Uy. C’eſt leur affaire.

Vous avez imaginé une autre verſion, Ulen pour Ulieden Spiegel — votre miroir — à vous manants & seigneurs, gouvernés & gouvernants, le miroir des sottiſes, des ridicules & des crimes d’une époque. C’était ingénieux mais déraiſonnable. Il ne faut jamais rompre avec la tradition.

Peut-être avez-vous trouvé bizarre l’idée de symboliſer la sageſſe par un oiſeau triſte & groteſque — à votre avis — un pédant à lunettes, un hiſtrion de foire, un ami des ténèbres, au vol silencieux, & qui tue sans qu’on l’entende venir, comme la Mort ? Vous me reſſemblez pourtant, faux bonſhommes qui riez de moi. Il eſt telle de vos nuits où le sang a ruiſſelé sous les coups du meurtre chauſſé de feutre, pour que, lui auſſi, on ne l’entendît pas venir. Ne s’eſt-il point levé, dans votre hiſtoire à tous, certaines aubes pâles éclairant de leurs lueurs blafardes les pavés jonchés de cadavres d’hommes, de femmes & d’enfants ? De quoi vit votre politique depuis que vous régnez sur le monde ? D’égorgements & de tueries.

Moi, hibou, le laid hibou, je tue pour me nourrir, pour nourrir mes petits, je ne tue point pour tuer. Si vous me reprochez de croquer un nid de petits oiſeaux, ne pourrais-je pas vous reprocher le carnage que vous faites de tout ce qui reſpire ? Vous avez écrit des livres où d’un accent attendri, parlant de la légèreté de l’oiſeau, de ses amours, de sa beauté, de la science du nid & des épouvantes de la maternité, vous dites enſuite à quelle sauce il faut le servir & à quel mois de l’an vous en ferez les plus graſſes fricaſſées. Je ne fais pas de livres, moi, Dieu m’en garde, sinon j’écrirais que lorſque vous ne pouvez manger l’oiſeau, vous mangez le nid, de peur de perdre un coup de dent.

Quant à toi, poëte écervelé, il était de ton intérêt de me réintégrer dans ton œuvre, dont vingt chapitres, au moins, m’appartiennent[1], je te laiſſe

  1. Cette aſſertion eſt exacte. Le poëte a emprunté à une petite brochure flamande de la collection Van Paemel, intitulée : Het aerdig leven van Thyl Ulenſpiegel, les chapitres VI, XIII, XVI, XIX, XXIV, XXXV, XXXIX, XLI, XLIII, XLVII, XLVIII, XLIX, LIII, LV, LVI, LIX & LX du premier livre de son ouvrage.

    Les têtes de chapitres imprimées ci-deſſus en majuſcules italiques indiquent que ceux-ci sont plutôt créés que reproduits.