marotte brodée. J’en fis vingt-sept pour le moins & ma fillette quinze. Cela fâcha le Chien rouge de voir ces marottes.
Puis, parlant à l’oreille d’Ulenſpiegel :
— Je sais que les seigneurs ont décidé de remplacer la marotte par un faiſceau de blé en signe d’union. Oui, oui, ils vont lutter contre le roi & l’Inquiſition. C’eſt bien à eux, n’eſt-ce pas, meſſire ?
Ulenſpiegel ne répondit point.
— Le sire étranger braſſe mélancolie, dit la vieille ; il a le bec clos tout soudain.
Ulenſpiegel ne sonna mot & sortit.
Il entra bientôt dans un muſico, afin de ne point oublier de boire. Le muſico était plein de buveurs parlant imprudemment du roi, des placards déteſtés, de l’Inquiſition & du Chien rouge à qui il fallait faire quitter les pays. Il vit la vieille toute loqueteuſe & paraiſſant dormir à côté d’une chopine de brandevin. Elle demeura longtemps ainſi ; puis, tirant une petite aſſiette de sa poche, il la vit mendier dans les groupes, demandant surtout à ceux qui parlaient le plus imprudemment.
Et les bonſhommes lui baillaient florins, deniers & patards, sans chicherie.
Ulenſpiegel, eſpérant savoir de la fillette ce que la vieille Sapermillemente ne lui diſait point, paſſa derechef devant la maiſon ; il vit la fille qui ne criait plus, mais lui souriait clignant de l’œil, douce promeſſe.
La vieille rentra tout soudain après lui.
Ulenſpiegel, fâché de la voir, courut comme un cerf dans la rue en criant : ’T brandt ! ’t brandt ! au feu ! au feu ! juſqu’à ce qu’il fût arrivé devant la maiſon du boulanger Jacob Pieterſen. Le vitrage, feneſtré à l’allemande, flamboyait rouge au soleil couchant. Une épaiſſe fumée, fumée de cotrets tournant en braiſe au four, sortait de la cheminée de la boulangerie. Ulenſpiegel ne ceſſait de crier en courant : ’T brandt, ’t brandt & montrait la maiſon de Jacob Pieterſen. La foule, s’aſſemblant devant, vit le vitrage rouge, l’épaiſſe fumée & cria comme Ulenſpiegel : ’T brandt, ’t brandt, il brûle ! il brûle ! Le veilleur de Notre-Dame de la Chapelle sonna de la trompette tandis que le bedeau agitait à toute volée la cloche dite Wacharm. Et les garçonnets & fillettes accoururent par eſſaims, chantant & sifflant.
La cloche & la trompette sonnant toujours, la vieille Sapermillemente trouſſa son bagage & s’en fut.