Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/273

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— Meſſire, dit-il, je crois que ce pèlerin se gauſſe de nous, avec sa jambe rompue, pour monter dans le chariot des filles. Ordonnez qu’on le laiſſe en chemin.

— Je le veux, répondit meſſire de Lamotte.

Et Ulenſpiegel fut laiſſé dans le foſſé.

Quelques soudards, croyant qu’il s’était vraiment caſſé la jambe, en furent fâchés à cauſe de sa gaieté. Ils lui laiſſèrent de la viande & du vin pour deux jours. Les filles l’euſſent voulu aller secourir, mais ne le pouvant, elles lui jetèrent tout ce qui leur reſtait de caſtrelins.

La troupe fut loin, Ulenſpiegel prit la clef des champs dans sa robe de pèlerin, acheta un cheval &, par chemins & par sentiers, entra à Bois-le-Duc, comme le vent.

À la nouvelle de l’arrivée de meſſires de Beauvoir & de Lamotte, ceux de la ville se mirent en armes au nombre de huit cents, élurent des capitaines & envoyèrent à Anvers Ulenſpiegel déguiſé en charbonnier pour avoir du secours de l’Hercule-Buveur Brederode.

Et les soudards de meſſires de Lamotte & de Beauvoir ne purent entrer à Bois-le-Duc, cité vigilante, prête à la vaillante défenſe.


XIX


Le mois suivant, un certain docteur Agileus donna deux florins à Ulenſpiegel & des lettres avec leſquelles il devait se rendre chez Simon Praet, qui lui dirait ce qu’il avait à faire.

Ulenſpiegel trouva chez Praet le vivre & le couvert. Son sommeil était bon, bonne auſſi sa trogne fleurie de jeuneſſe ; Praet, au rebours, chétif & de mine piteuſe, semblait toujours enfermé en de triſtes penſées. Et Ulenſpiegel s’étonnait d’entendre, la nuit, si de haſard il s’éveillait, des coups de marteau.

Si matin qu’il se levât, Simon Praet était debout avant lui & plus piteuſe était sa mine, plus triſtes auſſi ses regards, brillants comme ceux d’un homme se préparant à la mort ou à la bataille.

Souvent Praet soupirait, joignant les mains pour prier & toujours