Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/29

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Le seigneur infant serait porté à baptême vers les neuf ou dix heures ; les habitants de Valladolid, pour montrer leur joie grande, mèneraient noces & feſtins toute la nuit, à leurs frais, & sèmeraient sur la grand’place leur argent pour les pauvres.

Il y aurait à cinq carrefours une grande fontaine d’où jaillirait par flots, juſques à l’aube, du gros vin payé par la ville. À cinq autres carrefours seraient rangés, sur édifices de bois, sauciſſons, cervelas, boutargues, andouilles, langues de bœuf & autres viandes, auſſi à la charge de la ville.

Ceux de Valladolid élèveraient en grand nombre, à leurs dépens, sur le paſſage du cortège, des arcs de triomphe repréſentant la Paix, la Félicité, l’Abondance, la Fortune propice & emblématiquement tous & quelconques dons du ciel dont ils furent comblés sous le règne de Sa Sainte Majeſté.

Finalement, outre ces arcs pacifiques, il en serait placé quelques autres où l’on verrait peints en vives couleurs des attributs moins bénins, tels que aigles, lions, lances, hallebardes, épieux à langue flamboyante, hacquebutes à croc, canons, fauconneaux, courtauds à groſſe gueule & autres engins montrant imagièrement la force & puiſſance guerrières de Sa Sainte Majeſté.

Quant aux lumières à éclairer l’égliſe, il serait permis à la gilde des ciriers de fabriquer gratis plus de vingt mille cierges, dont les bouts non conſumés reviendraient au chapitre.

Pour ce qui était des autres dépenſes, l’empereur les ferait volontiers, montrant ainſi son bon vouloir de ne pas trop charger ses peuples.

Comme la commune allait exécuter ces ordres, arrivèrent de Rome nouvelles lamentables. D’Orange, d’Alençon & Frundſberg, capitaines de l’empereur, étaient entrés en la sainte ville, y avaient saccagé & pillé les égliſes, chapelles & maiſons, n’épargnant perſonne, prêtres, nonnains, femmes ni enfants. Le saint-père avait été fait priſonnier. Depuis une semaine, le pillage n’avait point ceſſé, & reiters & landsknechts vaguaient par Rome, saoûlés de nourriture, ivres de buverie, brandiſſant leurs armes, cherchant les cardinaux, & diſant qu’ils tailleraient aſſez dans leur cuir pour les empêcher de devenir jamais papes. D’autres, ayant déjà exécuté cette menace, se promenaient fièrement dans la ville, portant sur leur poitrine des chapelets de vingt-huit grains ou davantage, gros comme des noix, & tout sanglants. Certaines rues étaient de rouges ruiſſeaux où giſaient dépouillés les cadavres des morts.

D’aucuns dirent que l’empereur, ayant beſoin d’argent, avait voulu en