Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/366

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XXX


Cependant le prévôt Spelle le Roux, armé de sa baguette rouge, courait de ville en ville, sur son cheval maigre, dreſſant partout des échafauds, allumant des bûchers, creuſant des foſſes pour y enterrer vives les pauvres femmes & filles. Et le roi héritait.

Ulenſpiegel étant à Meuleſtee avec Lamme, sous un arbre, se sentit plein d’ennui. Il faiſait froid nonobſtant qu’on fût en juin. Du ciel, chargé de griſes nuées, tombait une grêle fine.

— Mon fils, lui dit Lamme, tu cours sans vergogne depuis quatre nuits la pretantaine & les filles folles, tu vas coucher in den Zoeten Inval, à la Douce Chute, tu feras comme l’homme de l’enſeigne, tombant la tête la première dans une ruche d’abeilles. Vainement je t’attends In de Zwaen, & j’augure mal de cette paillarde exiſtence. Que ne prends-tu femme vertueuſement ?

— Lamme, dit Ulenſpiegel, celui à qui une eſt toutes, & à qui toutes sont une en ce gentil combat que l’on nomme amour, ne doit point légèrement précipiter son choix.

— Et Nele, n’y penſes-tu point ?

— Nele eſt à Damme, bien loin, dit Ulenſpiegel.

Tandis qu’il était en cette attitude & que la grêle tombait dru, une jeune & mignonne femme paſſa courant & se couvrant la tête de sa cotte.

— Hé, dit-elle, songe-creux, que fais-tu sous cet arbre ?

— Je songe, dit Ulenſpiegel, à une femme qui me ferait de sa cotte un toit contre la grêle.

— Tu l’as trouvée, dit la femme, lève-toi.

Ulenſpiegel se levant & allant vers elle :

— Vas-tu encore me laiſſer seul ? dit Lamme.

— Oui, dit Ulenſpiegel ; mais vas In de Zwaen, manger un gigot ou deux, bois douze hanaps de bière, tu dormiras & ne t’ennuieras point.

— Je le ferai, dit Lamme.

Ulenſpiegel s’approcha de la femme.

— Lève, dit-elle, ma jupe d’un côté, je la lèverai de l’autre, & courons maintenant.