Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/47

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— Mon fils, dit Charles, il faut courir, sauter & gambader ainſi que font les enfants de ton âge.

— J’ai les jambes roides, monſeigneur père.

— Comment, dit Charles, en serait-il autrement si tu ne t’en sers pas plus que si elles étaient de bois ? Je te vais faire attacher sur quelque cheval bien ingambe.

L’infant pleura.

— Ne m’attachez pas, dit-il, j’ai mal aux reins, monſeigneur père.

— Mais, dit Charles, tu as donc mal partout ?

— Je ne souffrirais point si on me laiſſait en repos, répondit l’infant.

— Penſes-tu, repartit l’empereur impatient, paſſer ta vie royale à rêvaſſer comme clercs ? À ceux-là s’il faut, pour tacher d’encre leurs parchemins, le silence, la solitude & le recueillement ; à toi, fils du glaive, il faut un sang chaud, l’œil d’un lynx, la ruſe du renard, la force d’Hercule. Pourquoi te signes-tu ? Sangdieu ! ce n’eſt pas à un lionceau à singer les femelles égreneuſes de patenôtres.

— L’Angelus, monſeigneur père, répondit l’infant.


XIX


Les mois de mai & de juin furent, en cette année, les vrais mois des fleurs. Jamais on ne vit en Flandre de si embaumantes aubépines, jamais dans les jardins tant de roſes, de jaſmins & de chèvrefeuilles. Quand le vent soufflant d’Angleterre chaſſait vers l’orient les vapeurs de cette terre fleurie, chacun, & notamment à Anvers, levant le nez en l’air joyeuſement, diſait :

— Sentez-vous le bon vent qui vient de Flandres ?

Auſſi les diligentes abeilles suçaient le miel des fleurs, faiſaient la cire, pondaient leurs œufs dans les ruches inſuffiſantes à loger leurs eſſaims. Quelle muſique ouvrière sous le ciel bleu qui couvrait éclatant la riche terre !

On fit des ruches de jonc, de paille, d’oſier, de foin treſſé. Les vanniers cuveliers, tonneliers, y ébréchaient leurs outils. Quant aux huchiers, depuis longtemps ils ne pouvaient suffire à la beſogne.