Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/540

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entendre : il mettait l’état eccléſiaſtique & le célibat bien au-deſſus de tous les autres, comme étant le plus propre à faire gagner aux fidèles le paradis ; son éloquence était grande & fougueuſe : pluſieurs honnêtes femmes, dont j’étais, & notamment bon nombre de veuves & fillettes, en eurent l’eſprit troublé. L’état de célibat étant si parfait, il nous recommanda d’y demeurer : nous jurâmes de ne nous laiſſer plus épouſer derechef…

— Sinon par lui sans doute, dit Lamme pleurant.

— Tais-toi, dit-elle fâchée.

— Va, dit-il, achève : tu m’as porté un rude coup, je ne guérirai point.

— Si, dit-elle, mon homme, quand je serai près de toi toujours.

Elle le voulut embraſſer & baiſer, mais il la repouſſa.

— Les veuves, dit-elle, jurèrent entre ses mains de ne se remarier jamais.

Et Lamme l’écoutait, perdu en sa jalouſe rêverie.

Calleken, honteuſe, pourſuivit son propos :

— Il ne voulait, dit-elle, avoir pour pénitentes que des femmes ou des filles jeunes & belles : les autres, il les renvoyait à leurs curés. Il établit un ordre de dévotaires, nous faiſant jurer à toutes de ne pas prendre d’autres confeſſeurs que lui : je le jurai : mes compagnes, plus inſtruites que moi, me demandaient si je voulais me faire inſtruire dans la Sainte Diſcipline & la Sainte Pénitence : je le voulus. Il était à Bruges, au quai des Tailleurs de Pierre, près du couvent des Frères Mineurs, une maiſon habitée par une femme nommée Calle de Najage, laquelle donnait aux fillettes l’inſtruction & la nourriture, moyennant un carolus d’or par mois : Broer Cornelis pouvait entrer chez Calle de Najage sans paraître sortir de son cloître : ce fut en cette maiſon que j’allai, en une petite chambre où il se tenait seul : là il m’ordonna de lui dire toutes mes inclinations naturelles & charnelles : je ne l’oſai premièrement ; mais je cédai enfin, pleurai & lui dis tout.

— Las ! pleura Lamme, & ce moine pourceau reçut ainſi ta douce confeſſion.

— Il me diſait toujours, & cela eſt vrai, mon homme, qu’au-deſſus de la pudeur terreſtre eſt une pudeur céleſte, par laquelle nous faiſons à Dieu le sacrifice de nos hontes mondaines, & qu’ainſi nous avouons à notre confeſſeur tous nos secrets déſirs & sommes dignes alors de recevoir la Sainte Diſcipline & la Sainte Pénitence.

« Enfin il m’obligea à me mettre nue devant lui, afin de recevoir sur mon