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LES ANCIENS CANADIENS.

dépenses de la famille ; il retirait les rentes de la seigneurie, régissait la ferme, se rendait tous les dimanches à la messe, beau temps ou mauvais temps, pour y recevoir l’eau bénite en l’absence du seigneur de la paroisse ; et entre autre menus devoirs qui lui incombaient, il tenait sur les fonds du baptême tous les enfants premiers-nés des censitaires de la seigneurie, honneur qui appartenait de droit à son frère aîné, mais dont celui-ci se déchargeait en faveur de son frère cadet (a).

Une petite scène donnera une idée de l’importance de mon oncle Raoul, dans les occasions solennelles.

Transportons-nous au mois de novembre, époque à laquelle les rentes seigneuriales sont échues.

Mon oncle Raoul, une longue plume d’oie fichée à l’oreille, est assis majestueusement dans un grand fauteuil, près d’une table recouverte d’un tapis de drap vert, sur laquelle repose son épée. Il prend un air sévère lorsque le censitaire se présente, sans que cet appareil imposant intimide pourtant le débiteur accoutumé à ne payer ses rentes que quand ça lui convient : tant est indulgent le seigneur d’Haberville envers ses censitaires.

Mais comme mon oncle Raoul tient plus à la forme qu’au fond, qu’il préfère l’apparence du pouvoir au pouvoir même, il aime que tout se passe avec une certaine solennité.

— Comment vous portez-vous, mon… mon… lieutenant ? dit le censitaire, habitué à l’appeler mon oncle, à son insu.

— Bien, et toi ; que me veux-tu ? répond mon oncle Raoul d’un air important.

— Je suis venu vous payer mes rentes, mon…