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LES ANCIENS CANADIENS.

— J’aurais cru que le mai se serait bien gardé tout seul : je ne pense pas le monde assez fou que de laisser un bon lit pour le plaisir de s’éreinter à traîner cette vénérable masse ; tandis qu’il y a du bois à perdre à toutes les portes.

— Vous n’y êtes pas, notre jeune Seigneur, reprit Chouinard : il y a toujours, voyez-vous, des gens jaloux de n’être pas invités à la fête du mai ; si bien que pas plus tard que l’année dernière des guerdins (gredins), qui avaient été priés de rester chez eux, eurent l’audace de scier, pendant la nuit, le mai que les habitants de Sainte-Anne devaient présenter le lendemain au capitaine Besse. Jugez quel affront pour le pauvre monde, quand ils arrivèrent le matin, de voir leur bel arbre bon tout au plus à faire du bois de poêle !

Jules ne put s’empêcher de rire aux éclats d’un tour qu’il appréciait beaucoup.

— Riez tant que vous voudrez, dit Tontaine, mais c’est pas toujours être chrétien que de faire de pareilles farces ! vous comprenez, ajouta-t-il d’un ton sérieux, que ce n’est pas qu’on craigne un tel affront pour notre bon Seigneur ! mais comme il y a toujours des chétifs partout, nous avons pris nos précautions en cas d’averdingles (avanies).

— Je suis un pauvre homme, fit Alexis Dubé, mais je ne voudrais pas pour la valeur de ma terre, qu’une injure semblable fût faite à notre capitaine.

Chacun parla dans le même sens ; et Jules était déjà dans les bras de sa famille que l’on continuait à pester contre les gredins, les chétifs imaginaires, qui auraient l’audace de mutiler le mai de sapin qu’on se proposait d’offrir le lendemain au seigneur d’Haberville. Il est à supposer que les libations et le