— Est-ce que tu ne me reconnais pas, ma bonne Marie ? Est-ce que tu ne reconnais pas la petite seigneuresse, comme tu m’appelais quand j’étais enfant ?
La pauvre femme interrompit son monologue, et regarda la belle jeune fille avec tendresse. Une larme même s’arrêta dans ses yeux sans pouvoir couler : cette tête fiévreuse et toujours brûlante en contenait si peu ! (d)
— Pourquoi, ma chère Marie, dit mademoiselle d’Haberville, mènes-tu cette vie sauvage et vagabonde ? Pourquoi vivre dans les bois, toi la femme d’un riche habitant, toi la mère d’une nombreuse famille ? Tes pauvres petits enfants, élevés par des femmes étrangères, auraient pourtant bien besoin des soins de leur bonne mère ! Je viendrais te chercher après la fête avec maman et nous te ramènerons chez toi : elle parlera à ton mari qui t’aimes toujours ; tu dois être bien malheureuse !
La pauvre femme bondit sur son siège ; et ses yeux lancèrent des flammes, lorsque debout, pâle de colère, elle s’écria en regardant les assistants :
— Qui ose parler de mes malheurs ?…
Est-ce la belle jeune fille, l’orgueil de ses parents, qui ne sera jamais épouse et mère ?
Est-ce la noble et riche demoiselle, élevée entre la soie et le coton, qui n’aura bientôt comme moi qu’une cabane pour abri ? Malheur ! Malheur ! Malheur !
Elle se releva tout à coup avant de s’enfoncer dans la forêt, et s’écria de nouveau et voyant Jules très affecté :
— Est-ce bien Jules d’Haberville qui s’apitoie sur mes malheurs ? Est-ce bien Jules d’Haberville, le brave entre les braves, dont je vois le corps sanglant