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LE BON GENTILHOMME.

Je ne chercherai pas, fit le bon gentilhomme en se frappant le front avec ses deux mains, à pallier mes folies pour accuser autrui de mes désastres ; oh ! non ! mais il est une chose certaine, c’est que j’aurais pu suffire à mes propres dépenses, mais non à celles de mes amis, et à celles des amis de mes amis, qui se ruèrent sur moi comme des loups affamés sur une proie facile à dévorer. Je ne leur garde aucune rancune : ils agissaient suivant leur nature : quand la bête carnassière a faim, elle dévore tout ce qu’elle rencontre. Incapable de refuser un service, ma main ne se ferma plus ; je devins non seulement leur banquier, mais si quelqu’un avait besoin d’une caution, d’un endossement de billet, ma signature était à la disposition de tout le monde. C’est là, mon cher Jules, ma plus grand erreur, car je puis dire en toute vérité que j’ai été obligé de liquider leurs dettes, quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, de mes propres deniers, même dans mes plus grands embarras, pour sauver mon crédit et éviter une ruine d’ailleurs imminente. Un grand poète anglais a dit : « Ne prête, ni n’emprunte, si tu veux conserver tes amis ». Donne, mon cher fils, donne à pleines mains, puisque c’est un penchant irrésistible chez toi, mais, au moins, sois avare de ta signature : tu seras toujours à la gêne, mais tu éviteras les malheurs qui ont empoisonné mon existence pendant un demi-siècle.

Mes affaires privées étaient tellement mêlées avec celles de mon bureau que je fus assez longtemps sans m’apercevoir de leur état alarmant. Lorsque je découvris la vérité après un examen de mes comptes, je fus frappé comme d’un coup de foudre. Non seulement j’étais ruiné, mais aussi sous le poids d’une