Page:De Gaspé - Les anciens canadiens, 1863.djvu/177

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
179
LE BON GENTILHOMME.

moi. Mais la pitié est donc morte au cœur de l’homme, pour se réfugier dans le cœur, j’allais dire dans l’âme de l’animal privé de raison ! L’agneau bêle tristement lorsqu’on égorge un de ses compagnons, le bœuf mugit de rage et de douleur lorsqu’il flaire le sang d’un animal de son espèce, le cheval souffle bruyamment, renâcle, pousse ce hennissement lugubre qui perce l’âme, à la vue de son frère se débattant dans les douleurs de l’agonie, le chien pousse des hurlements plaintifs pendant la maladie de ses maîtres ! L’homme, lui, suit son frère à sa dernière demeure, en chuchotant, en s’entretenant de ses affaires et d’histoires plaisantes.

Lève la tête bien haut dans ta superbe, ô maître de la création ! tu en as le droit. Lève la tête altière vers le ciel, ô homme ! dont le cœur est aussi froid que l’or que tu palpes jour et nuit. Jette la boue à pleines mains à l’homme au cœur chaud, aux passions ardentes, au sang brûlant comme le vitriol, qui a failli dans sa jeunesse. Lève la tête bien haut, orgueilleux Pharisien, et dis : moi, je n’ai jamais failli. Moins indulgent que le divin Maître que tu prétends servir, qui pardonne au pécheur repentant, ne tiens aucun compte des souffrances, des angoisses qui dessèchent le cœur comme le vent brûlant du désert, des remords dévorants qui, après cinquante ans de stricte probité, rongent encore le cœur de celui que la fougue des passions a emporté dans sa jeunesse, et dis : moi, je n’ai jamais failli !

Le bon gentilhomme se pressa la poitrine à deux mains, garda pendant quelque temps le silence et s’écria :

— Pardonne-moi, mon fils, si, emporté par le sou-