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Page:De Gaspé - Les anciens canadiens, 1863.djvu/178

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LES ANCIENS CANADIENS.

venir de tant de souffrances, j’ai exhalé mes plaintes dans toute l’amertume de mon cœur. Ce ne fut que le septième jour après l’arrivée de ses amis, que ce grand poète arabe, Job, le chantre de tant de douleurs, poussa ce cri déchirant : pereat dies in quâ natus sum ! moi, mon fils, j’ai refoulé mes plaintes dans le fond de mon cœur pendant cinquante ans ! pardonne-moi donc si j’ai parlé dans toute l’amertume de mon âme ; si, aigri par le chagrin, j’ai calomnié tous les hommes, car il y a de nobles exceptions.

Comme j’avais fait l’abandon, depuis longtemps, à mes créanciers, de tout ce que je possédais, que tous mes meubles et immeubles avaient été vendus à leur bénéfice, je présentai au roi supplique sur supplique pour obtenir mon élargissement après quatre ans de réclusion. Les ministres furent bien d’opinion que tout considéré j’avais assez souffert, mais il s’élevait une grande difficulté, et la voici : quand un débiteur a fait un abandon franc et honnête de tout ce qu’il possède, quand on a vendu tous ses meubles et immeubles, lui reste-t-il encore quelque chose ? La question était épineuse ! néanmoins après d’assez longs débats, on décida dans la négative, malgré un argument de trois heures d’un grand arithméticien, beau parleur, qui prétendait résoudre que qui de deux paie deux, il reste encore une fraction. Et l’on finit par me mettre très poliment à la porte.

Mon avenir étant brisé comme mon pauvre cœur, je n’ai fait que végéter depuis sans profit pour moi, ni pour les autres. Mais vois, mon fils, la fatalité qui me poursuivait. Lorsque je fis abandon de mes biens à mes créanciers, je leur demandai en grâce de me laisser jouir d’un immeuble de peu de valeur alors, mais