Page:De Gaspé - Les anciens canadiens, 1863.djvu/18

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cœur qui bat, hélas ! rarement sous la poitrine de l’homme. Dire qu’il était généreux jusqu’à la prodigalité, qu’il était toujours prêt à prendre la défense des absents, à se sacrifier pour cacher les fautes d’autrui, ne saurait donner une idée aussi juste de son caractère que le trait suivant. Il était âgé d’environ douze ans, lorsque qu’un grand, perdant patience, lui donna un fort coup de pied, sans avoir, néanmoins, l’intention de lui faire autant de mal. Jules avait pour principe de ne porter aucune plainte aux maîtres contre ses condisciples : cette conduite lui semblait indigne d’un jeune gentilhomme. Il se contenta de lui dire : « Tu as l’esprit trop obtus, féroce animal, pour te payer en sarcasmes : tu ne les comprendrais pas — il faut percer l’épiderme de ton cuir épais : — sois tranquille tu ne perdras rien pour attendre ! »

Jules, après avoir rejeté certains moyens de vengeance, assez ingénieux pourtant, s’arrêta à celui de lui raser les sourcils pendant son sommeil : punition d’autant plus facile à infliger, que Dubuc, qui l’avait frappé, avait le sommeil si lourd qu’il fallait le secouer rudement, même le matin, pour le réveiller. C’était, d’ailleurs, le prendre par le côté le plus sensible : il était beau garçon et très-fier de sa personne.

Jules s’était donc arrêté à ce genre de punition lorsqu’il entendit Dubuc dire à un de ses amis, qui le trouvait triste :

— J’ai bien sujet de l’être, car j’attends mon père demain. J’ai contracté des dettes chez les boutiquiers, et chez mon tailleur, malgré ses défenses, espérant que ma mère viendrait à Québec avant lui et qu’elle me retirerait d’embarras à son insu. Mon père est avare, colère, brutal ; dans un premier