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LES ANCIENS CANADIENS.

le feu de l’artillerie et d’une grêle de balles qui les criblaient ; et abordant pour la troisième fois le moulin de Dumont à la baïonnette, ils s’en emparèrent après une lutte sanglante, et s’y maintinrent. On aurait cru pendant cette troisième charge que tous les sentiments, qui font aimer la vie, étaient éteints dans l’âme du jeune d’Haberville, qui, le cœur ulcéré par l’amitié trahie, par la ruine totale de sa famille, paraissait implorer la mort comme un bienfait. Aussi dès que l’ordre avait été donné de marcher en avant pour la troisième fois, bondissant comme un tigre et poussant le cri de guerre de sa famille « à moi grenadiers » il s’était précipité seul sur les Anglais qu’il avait attaqués comme un insensé. L’œuvre de carnage avait recommencé avec une nouvelle fureur, et, lorsque les Français étaient restés maîtres de la position, ils avaient retiré Jules d’un monceau de morts et de blessés. Comme il donnait signe de vie, deux grenadiers le portèrent sur les bords d’un petit ruisseau près du moulin, où un peu d’eau fraîche lui fit reprendre connaissance. C’était plutôt la perte du sang qui avait causé la syncope, que la grièveté de la blessure : un coup de sabre, qui avait fendu son casque, avait coupé la chair sans fracturer l’os de la tête. Un soldat arrêta l’effusion du sang, et dit à Jules, qui voulait retourner au combat :

— Pas pour le petit quart d’heure, notre officier : vous en avez votre suffisance pour le moment ; le soleil chauffe en diable sur la butte, ce qui est dangereux pour les blessures de tête. Nous allons vous porter à l’ombre de ce bois, où vous trouverez des lurons qui ont aussi quelques égratignures. D’Haberville, trop faible pour opposer aucune résistance, se