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LES PLAINES D’ABRAHAM.

— Les temps sont bien changés, et il s’est passé bien des événements depuis. Mais, au moins, madame, comment se porte mon frère Jules d’Haberville ?

— Celui que vous appeliez autrefois votre frère, monsieur de Locheill, est maintenant, je l’espère hors de danger.

– Dieu soit loué ! reprit de Locheill, toute espérance n’est pas maintenant éteinte dans mon cœur ! Si je m’adressais à une personne ordinaire, il ne me resterait plus qu’à me retirer après avoir remercié madame la supérieure de l’entrevue qu’elle a daigné m’accorder ; mais j’ai l’honneur de parler à la sœur d’un brave soldat, à l’héritière d’un nom illustré dans l’histoire par des hauts faits d’armes, par les nobles actions d’une dame d’Haberville ; et si madame veut le permettre, si madame veut oublier un instant les liens de tendre affection qui l’attachent à sa famille, si madame la supérieure veut se poser en juge impartial entre moi et une famille qui lui serait étrangère, j’oserais alors entamer une justification, avec espoir de réussite.

— Parlez, monsieur de Locheill, repartit la supérieure ; parlez, je vous écoute, non comme une d’Haberville, mais comme une parfaite étrangère à ce nom : c’est mon devoir, comme chrétienne, de le faire ; c’est mon désir d’écouter, avec impartialité, tout ce qui pourrait pallier votre conduite cruelle et barbare envers une famille qui vous aimait tant.

Une rougeur subite, suivie d’une pâleur cadavéreuse, empreinte sur les traits du jeune homme, fit craindre à la supérieure qu’il allait s’évanouir. Il saisit des deux mains la grille qui le séparait de son