Page:De Gaspé - Les anciens canadiens, 1863.djvu/282

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
284
LES ANCIENS CANADIENS.

able de le recevoir de ma main : je sais que le capitaine d’Haberville n’oublie jamais ni un bienfait ni une offense.

M. D’Haberville regarda fixement l’étranger, fronça les sourcils, ferma fortement les yeux, garda pendant quelque temps le silence, en proie à un pénible combat intérieur ; mais, reprenant son sang-froid, il lui dit avec la plus grande politesse :

— Laissons à la conscience de chacun les torts du passé : vous êtes ici chez moi, capitaine de Locheill, et en outre, étant porteur de lettres de mon fils, vous avez droit à un bon accueil de ma part. Toute ma famille vous reverra avec plaisir. Vous recevrez chez moi une hospitalité… (il allait dire, avec amertume, princière, mais sentant tout ce qu’il y aurait de reproche dans ces mots) vous recevrez, dit-il, une hospitalité cordiale ; allons, venez.

Le lion n’était apaisé qu’à demi.

Arché, par un mouvement assez naturel, avança la main pour serrer celle de son ancien ami, mais il lui fallut aller la chercher bien loin ; et quand il l’eut saisie, elle resta ouverte dans la sienne.

Un long soupir s’échappa de la poitrine de l’Écossais. En proie à de pénibles réflexions, il parut indécis pendant quelques minutes, mais finit par dire d’une voix empreinte de sensibilité.

— Le capitaine d’Haberville peut bien conserver de la rancune au jeune homme qu’il a jadis aimé et comblé de bienfaits, mais il a l’âme trop noble et trop élevée pour lui infliger de cœur joie un châtiment au-dessus de ses forces : revoir les lieux qui lui rappellent de si poignants souvenirs sera déjà un supplice