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CONCLUSION.

et qu’elle répondit à mes sentiments, je l’épouserais sans plus de répugnance qu’une de mes compatriotes.

Les yeux de Blanche se voilèrent de larmes ; elle prit la main de son frère, qu’elle pressa dans les siennes avec tendresse, et répondit :

– Si tu épousais une Anglaise, mon cher Jules, je la recevrais dans mes bras avec toute l’affection d’une sœur chérie ; mais ce que tu peux faire, toi, sans inconvenance, serait une lâcheté de la part de ta sœur. Tu as payé, noblement ta dette à la patrie. Ton cri de guerre « à moi, grenadiers » électrisait tes soldats dans les mêlées les plus terribles ; on a retiré deux fois ton corps sanglant de nos plaines encore humides du sang de nos ennemis, et tu as reçu trois blessures sur l’autre continent ! Oui, mon frère chéri, tu as payé noblement ta dette à la patrie, et tu peux te passer la fantaisie d’épouser une fille d’Albion ! mais, moi, faible femme, qu’ai-je fait pour cette terre asservie et maintenant silencieuse ; pour cette terre qui a pourtant retenti tant de fois des cris de triomphe de mes compatriotes ! Est-ce une d’Haberville qui sera la première à donner l’exemple d’un double joug aux nobles filles du Canada ? Il est naturel, il est même à souhaiter que les races française et anglo-saxonne, ayant maintenant une même patrie, vivant sous les mêmes lois, après des haines, après des luttes séculaires, se rapprochent par des alliances intimes ; mais il serait indigne de moi d’en donner l’exemple après tant de désastres ; on croirait, comme je l’ai dit à Arché, que le fier Breton, après avoir vaincu et ruiné le père, a acheté avec son or la pauvre fille canadienne, trop heureuse de se donner à ce prix. Oh ! jamais ! jamais (b) !