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LES ANCIENS CANADIENS.

sur leurs épaules, tandis que d’autres plus heureux les avaient conservées intactes et en secouaient d’un air fier les branches chargées d’anneaux d’argent de quatre pouces de diamètre, échappés à leurs rixes fréquentes pendant l’ivresse : c’étaient bien, dis-je, de vrais Indiens ; et tout attestait en eux le guerrier barbare et féroce, prêt à boire le sang dans le crâne d’un ennemi, ou à lui faire subir les tortures les plus cruelles.

Je n’ai jamais su pourquoi ils se réunirent en si grand nombre, ce dimanche-là, dans la ville de Québec. Avaient-ils reçu leurs présents la veille ? ou était-ce jour de fête particulière à leurs nations ? Toujours est-il que je n’en ai jamais vu, ni auparavant, ni depuis, un si grand nombre dans l’enceinte des murs de la cité. Une particularité assez remarquable était l’absence de leurs femmes ce jour-là.

Les Indiens, après avoir parcouru les principales rues de la ville par groupe de trente à quarante guerriers, après avoir dansé devant les maisons des principaux citoyens, qui leur jetaient des pièces de monnaie par les fenêtres, soit pour les récompenser de leur belle aubade, soit peut-être aussi pour s’en débarrasser, finirent par se réunir sur le marché de la haute ville, à la sortie des vêpres de la cathédrale. C’est là que je les vis au nombre de quatre à cinq cents guerriers, chanter et danser cette danse terrible qui a nom « la guerre, » parmi tous les sauvages de l’Amérique du Nord.

Il était facile de comprendre leur pantomime. Ils nous parurent d’abord tenir un conseil de guerre ; puis, après quelques courtes harangues de leurs guerriers, ils suivirent à la file leur grand chef en imitant avec leurs tomahawks l’action de l’aviron qui bat l’eau en cadence. Ils tournèrent longtemps en cercle en chantant un air monotone et sinistre : c’était le départ en canot pour l’expédition projetée. Le refrain de cette chanson, dont j’ai encore souvenance pour l’avoir souvent chanté en dansant la guerre avec les gamins de Québec, était, sauf correction quant à l’orthographe : « sâhontès ! sâhontès ! sâhontès ! oniakérin ouatchi-chicono-ouatche. »

Enfin, à un signal de leur chef, tout rentra dans le silence ; et ils parurent consulter l’horizon en flairant l’air à plusieurs reprises. Ils avaient, suivant leur expression, senti le voisinage de l’ennemi. Après avoir parcouru l’arène pendant quelques minutes en rampant à plat ventre comme des couleuvres et en avançant avec beaucoup de précautions, le principal chef poussa un hurlement épouvantable, auquel les autres firent chorus ; et, se précipitant dans la foule des spectateurs en brandissant son casse-tête, il saisit un jeune homme à l’air hébété, le jeta sur son épaule, rentra dans le cercle que fermèrent aussitôt ses compagnons, l’étendit le visage contre terre, et lui posant le genou sur les reins, il fit mine de lui lever la chevelure. Le retournant ensuite brusquement, il parut lui ouvrir la poitrine avec son tomahawk, et en recueillir du sang avec sa main qu’il porta à sa bouche, comme s’il eût voulu s’en abreuver, en poussant des hurlements féroces.

Les spectateurs éloignés crurent pendant un instant que la scène avait