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NOTES DU CHAPITRE PREMIER.

tournée au tragique, quand l’Indien, sautant sur ses pieds, poussa un cri de triomphe en agitant au-dessus de sa tête une vraie chevelure humaine teinte de vermillon, qu’il avait tirée adroitement de sa ceinture ; tandis que les assistants les plus rapprochés du théâtre où se jouait le drame, s’écrièrent, en riant aux éclats :

— « Sauve-toi, mon petit Pitre (Pierre) ! les canaouas vont t’écorcher comme une anguille ! »

Le petit Pitre ne se le fit pas dire deux fois ; il s’élança parmi la foule, qui lui livrait passage, prit sa course à toutes jambes le long de la rue de la Fabrique, aux acclamations joyeuses du peuple, qui criait : « sauve-toi, mon petit Pitre ! »

Les sauvages, après avoir dansé pendant longtemps, en poussant des cris de joie, qui nous semblaient être les hurlements d’autant de démons que satan, d’humeur accostable, avait déchaînés ce jour-là, finirent par se disperser ; et sur la brune, la ville retomba dans son calme habituel : ceux des aborigènes qui n’étaient pas trop ivres retournèrent à la Pointe-Lévis, tandis que ceux qui avaient succombé dans le long combat qu’ils avaient livré au lom (rum), dormirent paisiblement sur le sein de leur seconde mère, la terre, dans tous les coins disponibles de la haute et de la basse ville de Québec.

Deux ans après la scène burlesque que je viens de peindre, je fus témoin d’un spectacle sanglant qui impressionna cruellement toute la cité de Québec : le théâtre était le même ; mais les acteurs au lieu d’être les peaux-rouges, étaient les visages-pâles. Il s’agissait de David McLane, condamné à mort pour haute trahison.

Le gouvernement, peu confiant dans la loyauté dont les Canadiens Français avaient fait preuve pendant la guerre de 1775, voulut frapper le peuple de stupeur par les apprêts du supplice. On entendit dès le matin le bruit des pièces d’artillerie que l’on transportait sur la place de l’exécution en dehors de la porte Saint-Jean ; et de forts détachements de soldats armés parcoururent les rues. C’était bien une parodie du supplice de l’infortuné Louis XVI, faite en pure perte.

J’ai vu conduire McLane sur la place de l’exécution : il était assis le dos tourné au cheval sur une traîne dont les lisses grinçaient sur la terre et les cailloux. Une hache et un billot étaient sur le devant de la voiture. Il regardait les spectateurs d’un air calme et assuré, mais sans forfanterie. C’était un homme d’une haute stature et d’une beauté remarquable. J’entendais les femmes du peuple s’écrier en déplorant son sort :

« Ah ! si c’était comme du temps passé, ce bel homme ne mourrait pas ! il ne manquerait pas de filles qui consentiraient à l’épouser pour lui sauver la vie ! »

Et plusieurs jours même après le supplice, elles tenaient le même langage.

Cette croyance, répandue alors parmi le bas peuple, venait, je suppose, de