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NOTES DU CHAPITRE SIXIÈME.

homme-là. » Il reprit ensuite sa bonne humeur ordinaire, abandonnant pour le quart d’heure le schlinderlitche à son malheureux sort.

Il est inutile de dire que tout rapport cessa dès ce jour entre le cher docteur et la bonne société, pendant le peu de temps qu’il résida dans la paroisse.

Je me permettrai de consigner une autre anecdote, tant j’aime à parler de mes anciens amis. Mon père, sachant que son ami, le même monsieur Couillard, était arrivé à Québec, se rend aussitôt à l’hôtel où il pensionnait pour lui rendre visite ; il demande à un domestique allemand de le conduire à la chambre qu’occupait le monsieur canadien.

— Ché n’ai pas connaître de monchire canadien, dit le domestique, il être ichi trois anclais et une monchire allemand, ché lui être une cran pel homme plond, avec de cros chieux pleus et peaucoup crandement des couleurs au fisage.

C’était bien le signalement du cher seigneur ; et mon père, sachant que mon ami parlait l’allemand, pensa que le domestique l’avait pris pour un compatriote ; il lui dit que c’était le monsieur qu’il désirait voir, mais qu’il était canadien.

— Chez lui il être allemande, fit le domestique, il me l’a dit lui-même ; ché lui barlé mieux que moi mon langue. Ché lui barlé moi de l’Allemagne et du crand Frieds (Grand Frédéric) qui me l’afait fait donner peaucoup crandement de schlag, quand moi l’être soldat.

Mon père, entendant rire du haut de l’escalier, aperçut son ami qui lui criait de monter à sa chambre :

— Quel diable t’a possédé, dit mon père, de te faire passer ici pour un Allemand ?

— Ce n’est pas moi, répliqua monsieur Couillard en montrant le domestique, c’est lui qui a voulu absolument que je fusse son compatriote ; j’ai accepté bravement mon rôle, et je m’en suis, je t’assure, très bien trouvé ; il est aux petits soins avec moi.

Cher Monsieur Couillard ! l’ami d’enfance de mon père, comme son fils était le mien, je lui ai fermé les yeux, il y a cinquante-six ans, dans la rue de la cité de Québec qui porte son nom !

Il tomba malade, à son retour de Montréal, dans une maison de pension, et ne put être transporté chez lui. Tel père, tel fils ; ce sont les deux meilleurs hommes et les deux hommes les plus vertueux que j’aie connus.

Monseigneur Plessis, son ancien compagnon de classe, venait le voir fréquemment pendant sa maladie ; et leurs longues conversations étaient toujours en latin, langue que tous deux affectionnaient.

Je ne puis passer sous silence le fait suivant que nous ne pûmes expliquer. J’avais constamment veillé Monsieur Couillard, avec son fils, pendant sa maladie ; et, la nuit qu’il mourut, j’étais encore auprès de lui avec son fils et feu M. Robert Christie, notre ami. Lorsque le moribond fut à l’agonie, je courus chez son confesseur, Monsieur Doucet, alors curé de Québec ; il vint lui-même m’ouvrir la porte du presbytère en me disant :