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LES ANCIENS CANADIENS.

comme font les sauvages quand ils ont chanté et dansé « la guerre, » cette danse et cette chanson par lesquelles ils préludent toujours à une expédition guerrière. L’île en est ébranlée jusque dans ses fondements. Les loups, les ours, toutes les bêtes féroces, les sorciers des montagnes du nord s’en saisissent, et les échos les répètent jusqu’à ce qu’ils s’éteignent dans les forêts qui bordent la rivière Saguenay.

Mon pauvre défunt père crut que c’était, pour le petit moins, la fin du monde et le jugement dernier.

Le géant au plumet d’épinette frappe trois coups ; et le plus grand silence succède à ce vacarme infernal. Il élève le bras du côté de mon défunt père, et lui crie d’une voix de tonnerre : veux-tu bien te dépêcher, chien de paresseux, veux-tu bien te dépêcher, chien de chrétien, de traverser notre amie ? Nous n’avons plus que quatorze mille quatre cents rondes à faire autour de l’île avant le chant du coq : — veux-tu lui faire perdre le plus beau du divertissement ?

— Va-t-en à tous les diables d’où tu sors, toi et les tiens, lui cria mon défunt père, perdant enfin toute patience.

— Allons, mon cher François, dit la Corriveau, un peu de complaisance ! tu fais l’enfant pour une bagatelle ; tu vois pourtant que le temps presse : voyons, mon fils, un petit coup de collier.

— Non, non, fille de satan ! dit mon défunt père, — je voudrais bien que tu l’eusses encore le beau collier que le bourreau t’a passé autour du cou, il y a deux ans : tu n’aurais pas le sifflet si affilé.

Pendant ce dialogue, les sorciers de l’île reprenaient leur refrain :

Dansons à l’entour,
Toure-loure ;
Dansons à l’entour.