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LES ANCIENS CANADIENS.

saient, comme s’ils eussent été les jouets de l’océan soulevé par la tempête. Les amarres et les câbles menaçaient de se rompre à chaque instant.

Les spectateurs saisis d’épouvante, à la vue de leurs parents et amis exposés à une mort certaine, ne cessaient de crier du rivage : — sauvez-vous ! sauvez-vous ! C’eût été, en effet, tenter la Providence que de continuer davantage une lutte téméraire, inégale, avec le terrible élément dont ils avaient à combattre la fureur.

Marcheterre cependant que ce spectacle saisissant semblait exalter de plus en plus, au lieu de l’intimider, ne cessait de crier : — En avant, mes garçons ! pour l’amour de Dieu, en avant, mes amis !

Ce vieux loup de mer, toujours froid, toujours calme, lorsque sur le tillac de son vaisseau, pendant l’ouragan, il ordonnait une manœuvre dont dépendait le sort de tout son équipage, l’était encore en présence d’un danger qui glaçait d’effroi les hommes les plus intrépides. Il s’aperçut, en se retournant, qu’à l’exception de son fils, et de Joncas, un de ses matelots, tous les autres cherchaient leur salut dans une fuite précipitée : — Ah ! lâches ! s’écria-t-il ; bande de lâches !

Ces exclamations furent interrompues par son fils, qui le voyant courir à une mort inévitable, s’élança sur lui ; et le saisissant à bras-le-corps, le renversa sur un madrier où il le retint quelques instants malgré les étreintes formidables du vieillard. Une lutte terrible s’engagea alors entre le père et le fils ! c’était l’amour filial aux prises avec cette abnégation sublime : l’amour de l’humanité !

Le vieillard, par un effort puissant, parvint à se soustraire à la planche de salut qui lui restaient ; et lui et son fils roulèrent sur la glace, où la lutte