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LA DÉBACLE.

livrer passage, il se fit un temps d’arrêt pendant lequel, s’amoncelant les unes au-dessus des autres, les glaces formèrent une digue d’une hauteur prodigieuse ; et un déluge de flots, obstrué d’abord par cette barrière infranchissable, se répandit ensuite au loin sur les deux rives et inonda même la plus grande partie du village. Cette inondation soudaine, en forçant les spectateurs à chercher un lieu de refuge sur les écores de la rivière, fit évanouir le dernier espoir de secourir l’infortuné Dumais.

Ce fut un long et opiniâtre combat entre le puissant élément et l’obstacle qui interceptait son cours ; mais enfin ce lac immense, sans cesse alimenté par la rivière principale et par ses affluents, finit par s’élever jusqu’au niveau de la digue qu’il sapait en même temps par la base. La digue, pressée par ce poids énorme, s’écroula avec un fracas qui ébranla les deux rives. Et comme la Rivière-du-Sud s’élargit tout-à-coup, au-dessous du bras Saint-Nicolas, son affluent, cette masse compacte, libre de toute obstruction descendit avec la rapidité d’une flèche ; et ce fut ensuite une course effrénée vers la cataracte qu’elle avait à franchir avant de tomber dans le bassin sur les rives du Saint-Laurent.

Dumais avait fait, avec résignation, le sacrifice de sa vie : calme au milieu de ce désastre, les mains jointes sur la poitrine, le regard élevé vers le ciel, il semblait absorbé dans une méditation profonde, comme s’il eût rompu avec tous les liens de ce monde matériel.

Les spectateurs se portèrent en foule vers la cataracte, pour voir la fin de ce drame funèbre. Grand nombre de personnes, averties par la cloche d’alarme,