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UN SOUPER CHEZ UN SEIGNEUR CANADIEN.

— Bah ! mon vieil ami, fit M. de Beaumont, vous n’aurez toujours pas bien loin à aller, car vous couchez ici, c’est convenu. Et puis si les jambes faiblissent, ça passera pour votre grand âge : personne ne sera scandalisé.

— Vous oubliez, mon Seigneur, dit le curé, que j’ai accepté votre aimable invitation pour être à portée de secourir au besoin le pauvre Dumais : mon intention est de passer la nuit près de lui. Si vous m’ôtez les forces, ajouta-t-il en souriant, quel service voulez-vous que je lui rende ?

— Vous allez pourtant vous coucher, fit M. de Beaumont ; ce sont les ordres du maître de céans. On vous éveillera au besoin. N’ayez aucune inquiétude quant au pauvre Dumais et sa femme ; madame Couture, leur intime amie, est auprès d’eux. Je renverrai même, quand ils auront soupé (car j’ai fait servir des rafraîchissements à tous ceux qui sont ici), quantité de compères et de commères qui ne demanderaient qu’à encombrer la chambre du malade pendant toute la nuit ; et partant vicier l’air pur dont il a le plus besoin. Nous seront tous sur pied, s’il est nécessaire.[1]

— Vous parlez si bien, repartit le curé, que je vais m’exécuter en conséquence.

Et ce disant il versa une portion raisonnable de vin dans la formidable coupe.

Alors le seigneur de Beaumont dit à Arché d’une voix émue et en même temps solennelle :

— Votre conduite est au-dessus de tout éloge. On ne sait lequel le plus admirer de ce dévouement

  1. C’était alors la coutume dans les campagnes d’encombrer la chambre des malades ; il est à regretter qu’il en soit encore ainsi.