Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/31

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
32
MÉMOIRES.

La Rose, ne prisant guère la discipline allemande à laquelle il était soumis, prit un jour la clef des champs. Ce fut le Duc de Kent lui-même qui l’arrêta à la Pointe-aux-Trembles. Le déserteur était à table, lorsque le Prince, accompagné d’une escorte, le surprit.

Vous êtes heureux, monseigneur, dit La Rose, que je sois sans armes, car je prends le ciel à témoin que, si j’avais un pistolet, je vous flamberais la cervelle.

La Rose fut condamné à recevoir neuf cent quatre-vingt-dix-neuf coups de fouet, le maximum alloué par le code militaire anglais (Mutiny Act). Il subit le supplice atroce, sans sourciller, repoussa avec dédain ceux qui voulaient l’aider à mettre ses habits après cet horrible châtiment, et se tournant vers le Prince, il lui dit en se frappant le front du doigt : C’est du plomb, monseigneur, et non du fouet, qu’il faut pour dompter un soldat français.

La Rose méritait, certainement, la mort ; mais on rapportait que le Duc de Kent n’avait jamais pu se résoudre à le faire mourir.

Les soldats de l’armée anglaise étaient soumis autrefois à une discipline cruelle et barbare : il se passait peu de vendredis, que ceux qui fréquentaient le marché de la haute-ville de Québec, ne fussent attristés des cris de douleurs sortant de la cour des casernes. Il y avait pourtant quelques soldats qui recevaient jusqu’à cinq cents coups de fouet sans faire entendre une seule plainte. J’ai souvent eu l’occasion de m’entretenir à cet égard avec plusieurs officiers de l’armée britannique ; ils s’accordaient tous à dire que vingt-cinq à trente mauvais sujets dans chaque régiment étaient les seuls