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MÉMOIRES.

vitre : — Tu rentreras, tu te coucheras sans souper, et je le dirai à ton père.

Après avoir riposté que ce n’était pas moi qui avais cassé la vitre, que j’avais le nez trop mou, que c’était mon frère, avec son nez aquilin, dont elle était si fière pour son second fils, tandis qu’elle m’appelait nez plat, moi, l’aîné de ses enfants, je commençai à faire de sérieuses réflexions, tout en me promenant dans la cour, sur les menaces de ma mère : 1o Tu rentreras ; c’était parfaitement clair : ça voulait dire tu recevras un tapin ; mais il était plus que probable qu’elle n’y penserait plus quand je rentrerais ; et, dans le cas contraire, n’avais-je pas la ressource de faire le plongeon ou de me réfugier sous le bienheureux canapé. Me voilà donc parfaitement rassuré de ce côté-là. 2o Tu te coucheras sans souper : punition très grave, je l’avoue, pour un enfant d’un appétit vorace, et que l’on appelait en conséquence le chancre, dans la famille. Mais j’étais souvent menacé de cette punition que je n’avais jamais reçue, et je regardais la menace comme peu sérieuse. Il est bien vrai qu’à la suite de quelques grands forfaits, ma mère me disait : va te coucher sans souper ; mais un instant après, ma tante ou une des servantes, portant un cabaret, entrait dans ma chambre en me disant de ne point faire de bruit, crainte que ma mère s’aperçût que je prenais mon repas du soir comme le reste de la famille. Je n’avais pas été longtemps la dupe de ce manège ; et un peu de réflexion m’avait aussi convaincu que ma mère, qui aimait tant à faire manger tout le monde, qui, dès que quelqu’un entrait dans la maison, soit riche ou pauvre, leur offrait