Page:De Gerlache - Le premier hivernage dans les glaces antarctiques, 1902.djvu/34

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Lecointe s’offre à descendre à la mer. On lui passe à la ceinture un bout de filin que deux hommes maintiennent, et il se laisse affaler dans l’eau glacée. Il va saisir Wiencke, quand un coup de mer l’en sépare. Le malheureux lâche la ligne du loch à laquelle il était resté convulsivement cramponné ; nous voyons son corps s’éloigner, roulé par les flots, et bientôt, sous nos yeux, il s’engloutit et disparaît à jamais… Tout ce drame s’est déroulé en quelques instants.

Wiencke était aussi aimé de ses chefs que de ses camarades et sa perte est vivement ressentie par tous…

La brume est toujours intense, la pluie alterne avec la neige, et la mer, toujours démontée, brise avec fureur sur les rives d’une terre que, dans une éclaircie, nous apercevons par la hanche de bâbord, et qui doit être l’île Low. Nous prenons l’allure du vent arrière afin de nous mettre à l’abri de cette tcire. Dans leur course errante, des icebergs nous frôlent presque, zébrant le ciel sombre de leurs arêtes livides. Les vagues, avec un grondement sourd, montent à l’assaut du navire dont le pont est balayé par de grands paquets de mer.

Vers six heures, nous arrivons sous le vent de l’île ; durant cette nuit de deuil qui nous sembla, à bord, plus morne et plus sombre, nous gardons la cape.

Le lendemain, 23 janvier, le temps est maniable ; nous gouvernons vers la baie de Hughes de la carte de l’Amirauté portant, en berne, les couleurs belges à la corne d’artimon et les norvégiennes au grand mât.

Nous pénétrons dans cette baie vers 5 heures du soir ; mais il règne une légère brume qui ne nous permet pas de reconnaître exactement la configuration des côtes. Nous sommes entourés de terres élevées ; nous voyons plusieurs icebergs et quelques îles et îlots dont l’un, très dégagé de neige, attire particulièrement notre attention ; les cartes ne l’indiquant pas, je lui donnerai, par la suite, le nom de mon père et le baptiserai îlot Auguste.

À neuf heures trente du soir, nous y effectuons notre premier débarquement. Nous rallions le bord, au bout d’une heure, porteurs d’une assez jolie collection d’échantillons géologiques, de mousses, de lichens, d’œufs de manchots, etc. Nous ramenons aussi deux jeunes manchots vivants.

Pendant le reste de la nuit, nous croisons sous petite vapeur. Il faut fréquemment manœuvrer pour éviter des icebergs. Le temps reste assez épais.