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Page:De Gerlache - Le premier hivernage dans les glaces antarctiques, 1902.djvu/35

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Le 24, le temps est encore assez « bouché ». Nous poursuivons cependant notre exploitation de la baie de Hughes et nous y effectuons encore quelques débarquements.

Les jours suivants, il fait plus clair ; à certains moments, il fait même radieusement beau.

Bien que le soleil disparaisse quelques heures sous l’horizon, nous n’avons plus de nuit : le crépuscule et l’aurore se confondent. Nous en profitons pour travailler sans répit. À peine stoppons-nous quelques heures, très tard dans la soirée.

De grand matin, Lecointe et moi, sommes sur la passerelle ; Arctowski et Racovitza classent les matériaux recueillis la veille ; Cook développe les clichés ; tous attendent impatiemment de nouveaux débarquements ; chacun se met à toutes les besognes : au besoin, les savants manieront l’aviron.


Le 27 janvier, nous pénétrons dans un détroit que nous avons entrevu le 24 — orienté vers le Sud-Ouest — et dont la baie de Hughes forme, en quelque sorte, l’entrée septentrionale.

Ce détroit n’est pas figuré sur les cartes, aussi éprouvons-nous, à nous y engager, cette joie et cette émotion spéciales qui s’emparent des navigateurs lorsque l’étrave de leur navire laboure des flots vierges.

Nous n’avons pas assez de regards pour contempler ces hautes falaises qui plongent dans la mer, ces baies où dévalent des glaciers, ces aiguilles qui pointent dans le ciel. Tout cela est sauvage, stérile, dénudé ; ce sont pourtant nos richesses, puisque ce sont nos découvertes.

Le panorama qui se déroule devant nous, et que nuls autres yeux n’ont jamais contemplé, est d’une grandeur farouche. À mi-hauteur des falaises noires, grises ou rouges, flottent des nuages légers comme d’impalpables gazes ; à leur pied reparaît la glace, d’une blancheur éclatante, qui se teinte d’azur au niveau de la mer. Çà et là flottent des icebergs aux arêtes bizarres, aux formes étranges, châteaux enchantés ou grottes azurées. Les glaciers, semblables à de grands fleuves figés, viennent s’épancher et se perdre dans la mer qui paraît toute noire en opposition avec tant de blancheurs. Les sommets, couronnés de glace et de neige, étincellent de mille feux sous le soleil.

Le soir tout cela est délicieusement diapré de teintes subtiles et mourantes, de bleus et de roses tendres, de violets très pâles, et ce monde nouveau revêt alors des aspects surnaturels et merveilleux.