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cela peut être. On a assuré aussi et on le répète trop, que les généraux ne sont pas en main pour se saisir du maniement de la chose publique. Le vrai d’aujourd’hui, en tant qu’il serait vrai, peut cesser de l’être demain. Ce qui est non moins manifeste c’est que la situation est circonvenue par le hasard, en tant que le hasard n’est autre chose que la conséquence incalculable mais logique d’une crise et que de ce hasard peut et doit sortir, pour la société abandonnée de tous les secours ordinaires, la nécessité impérieuse de se défendre par les moyens extraordinaires.

Le moyen extraordinaire, c’est un moyen violent et un général est ce moyen-là.

Il devient alors sans difficulté l’instrument providentiel. Chacun en tombe d’accord, chacun le proclame. Celui qui essaye de discuter est un esprit faux, dangereux, malintentionné et auquel on ne saurait donner d’autre avis que de se taire. Quand la société a peur, la société devient terrible ; elle veut des refuges terribles et ne s’arrête dans son tremblement et ne se calme que si un sabre la couvre. La société est à deux doigts d’avoir horriblement peur ; alors le général devient indispensable.

On ne va lui marchander ni le dévouement, ni même l’adoration. Non seulement, on se montrera prêt à lui tout permettre, mais on le conjurera, à mains jointes, au nom du salut de la patrie en naufrage, de tout vouloir. C’est un peu la méthode dans les cas difficiles de tous les peuples répandus sur le globe ; mais c’est surtout la méthode française et ce peuple auquel on a si bien persuadé de se saturer d’égalité a le rêve incessant du grand homme, de l’être qui ne ressemble aux autres êtres que